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  • Saison 2015-2016 - None - None > Quatuor Béla : Philippe Leroux, Francesco Filidei, Dimitri Chostakovitch
  • Jan. 15, 2016
  • Philharmonie de Paris, France
Œuvre de
  • Francesco Filidei (compositeur)
Participants
  • Grégory Beller (réalisateur informatique musicale)
  • Quatuor Béla (Frédéric Aurier, Julien Dieudegard, violons ; Julian Boutin, alto ; Luc Dedreuil, violoncelle)

Pour sa première incursion dans l’univers du quatuor à cordes, Francesco Filidei prévient d’emblée : ce ne sera pas une pièce qui se confronte à la problématique spécifique du quatuor, mais une pièce pour quatuor – une forme en un mouvement, comme une chanson ou un nocturne.

Au lieu de quoi, il préfère profiter de cet étrange animal pour poursuivre les recherches compositionnelles qui l’animent. À commencer par son désir d’insuffler la vie aux instruments, de les traiter comme des êtres animés, d’exploiter leur aspect parfois animal, voire anthropomorphe, à la recherche de leurs voix secrètes et intimes. Dès ses débuts, il demandait au musicien de toucher et de caresser son instrument comme si c’était un animal pétrifié, victime d’un sortilège. Dans sa première pièce avec électronique, Programming Pinocchio (2002), il faisait parler le piano au moyen de synthèse par modèle physique.

Pour Notturno sulle corde vuote, Francesco Filidei a collaboré avec l’équipe Acoustique instrumentale de l’Ircam qui travaille à la mise au point de SmartInstruments : une nouvelle famille d’instruments de musique dont les qualités acoustiques sont programmables. À première vue, ils ressemblent à des violons, altos ou violoncelles classiques, mais on peut changer leur sonorité et leur toucher : on peut en rendre le son plus brillant, plus clair, plus rond, on peut générer une sourdine artificielle, ou produire divers effets audionumériques sans haut-parleur ni ordinateur extérieur. Grâce à des capteurs, actionneurs (comme un transducteur accolé à la caisse, à proximité du chevalet) et autres systèmes embarqués, ce sont des instruments à acoustique variable. L’un des principaux attraits de ces SmartInstruments aux yeux de Francesco Filidei, c’est la possibilité donnée au compositeur de faire jouer un instrument de lui-même, sans aucune action de l’instrumentiste.

Comme son titre l’indique, Notturno sulle corde vuote fait suite à Corde Vuote, un trio avec piano dans lequel Filidei joue avec les cordes « à vide », c’est-à-dire les cordes jouées sans qu’aucun doigt de la main gauche ne soit posé sur le manche – ce qui, s’agissant d’un quatuor, fournit une échelle de quintes : do – sol – ré – la – mi.

Après une introduction souple et douce, faite de sons obtenus en frottant les cordes derrière le chevalet, Notturno sulle corde vuote prend sa source dans un sol presque soufflé pour gagner progressivement toutes les notes à vide des quatre instruments. Dans une large respiration poétique, Filidei continue à dérouler le cycle des quintes, puis l’étend dans un mouvement bariolé et chuchoté, vers le grave (do, fa, si bémol, mi bémol) comme vers l’aigu (mi, si, fa dièse, do dièse). On arrive ainsi jusqu’au la bémol commun, où un délicat jeu microtonal, tendu de glissendi et de distorsions, ouvre, en miroir, les portes du cœur intime des instruments.

Jérémie Szpirglas