À propos de la musique d'Arnaud Petit
...Tout commence avec des rencontres entre la Cinémathèque et l'Ensemble intercontemporain, des projets d'opérations communes sur des grands films muets, La Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer entre autres. Cinquante compositeurs invités à une projection expérimentale, des candidatures ensuite, des dossiers étudiés sous I'oeil et l'oreille avertis du président du jury Michel Fano, compositeur, lui-même spécialiste des partitions de film.
La vision musicale d'Arnaud Petit l'emporte, vision d'avant-garde où la modernité se calque aisément à l'expressionnisme de cette Passion. « Je proposais un travail effectué avec des moyens informatiques assez importants, travail auquel s'associa l'Ircam et ses prodigieuses ressources. »
Jeune compositeur de vingt-huit ans, Arnaud Petit réside effectivement à l'Ircam où il conduit plusieurs projets musicaux. Il était, entre autres affaires, responsable de l'environnement musical et dramatique de l'exposition sur les immatériaux au Centre Beaubourg en 1985. Premier intérêt d'une partition synthétique, elle autorise un éclatement du langage sonore bien au-delà des domaines musicaux familiers et connus. Sa capacité expressive est modulable à l'infini. « La plus grande partie des sons a été élaborée par ordinateurs, principalement l'ordinateur central de l'Ircam, le VAX 780, ainsi que par un processeur numérique de traitement en temps réel conçu ici-même, la 4-X. Ce qui m'a permis de traiter par exemple d'authentiques voix humaines. J'ai enregistré des acteurs déclamant les textes des cartons commentant le film et j'ai distillé ces échantillons dans les ordinateurs pour en extraire d'autres matériaux sonores, dérivés à l'extrême. Ainsi, durant le générique qui est assez long, où la Cinémathèque explique l'origine du film, je n'ai pas voulu laisser un vide sonore par trop embarrassant. J'ai préféré composer une introduction, une manière d'ouverture concentrant tous les dialogues du film, ramassés sur eux-même. »
...Inévitablement, après ce résumé musical présenté dès le début, la tentation était grande pour Arnaud Petit d'investir sa partition de noyaux suggestifs chevillés à chaque sentiment muet. Ce qu'il fit dans un premier temps, mais le résultat de cette expérience fut presque trop pointilliste, trop sophistiqué. « J'ai eu donc peur de me perdre dans l'intelligence du film, d'être victime de sa puissance sensible et formelle, une force telle qu'elle aurait pu m'étouffer, aussi l'ai-je regardé le moins de fois possible. »
...Encastré entre l'artifice de ce contrepoint électronique, un orchestre de chambre traditionnel prend le relais dans la fosse. Neuf instruments acoustiques correspondant à la partie centrale, la troisième partie, au moment ou l'on force Jeanne à renier sa foi, prémisse de ses tortures, un des temps forts de l'ensemble. « Cet orchestre nous fait revenir à un type d'écoute plus humaine, plus intime, c'est un temps de pause où l'on est en prise directe avec la source sonore, un appui auditif en quelque sorte, mais avec le parti pris de ne jamais accentuer la parole musicale aux instants les plus poignants du film qui se suffisent à eux-même, pour laisser en revanche éclore la violence intérieure de passages moins tendus. »
Quant à l'architecture musicale de la partition, elle épouse peu ou prou les cinq parties découpées par Dreyer. « Je me suis aperçu que chacune de ces parties étaient construites comme un arc avec un point focalisateur qui est une arête d'émotion pure, mais qu'à l'intérieur de ces parties, d'autres petites arches se distinguaient, entraînant un principe de prolifération infinie, puisque chaque élément générateur renferme sa propre image, elle-même contenant son ferment générateur, etc... »
Une forme riche de bourgeons reproducteurs, des émotions à rebrousse-poil avec des contradictions de Dreyer lui-même, un contre-pied à l'exemple de la démarche du cinéaste.
... Cette production prendra naissance au Théâtre des Amandiers, un lieu souvent exposé aux prestations musicales contemporaines. D'ailleurs, dans la fosse de cette scène, les quatre-vingt-six musiciens de l'Orchestre d'Ile-de-France avaient créé une partition d'Antoine Duhamel et de Pierre Jansen illustrant Intolérance un film de David Griffith, il y a deux ans. La Passion de Jeanne d'Arc continue dans cette voie, non seulement une prolongation, mais également une résurrection.
Texte entretien de Thierry Faradji, programme du film-concert de création.