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  • Antonia Soulez (conférencier)

Steve Reich est un compositeur expérimental d’avant-garde difficile à classer qui mêle les musiques savantes et populaires comme beaucoup d’autres aux États-Unis dans les mêmes années 1960-1970. Il se dit répétitif plutôt que minimaliste. Contrairement à Cage, il ne réprouve pas le mot de « musique » et déclare chercher une musique belle et accessible, capable de lui « survivre » en étant jouée par d’autres après lui. Là où il rejoint Cage est son parti pris « égalitarien » et l’articulation avec la « vie ».
Nous montrerons d’abord, pour caractériser la science dont il fait preuve, comment il s’y prend pour composer de la musique conformément à la définition qu’il en donne, à savoir un processus graduel de part en part audible qui se déploie à travers l’exécution. Nous mentionnerons le recours à des techniques rigoureuses notamment celle du déphasage entre deux figures périodiques dont il est l’inventeur. Par ce procédé générant des patterns, « le processus de composition et la musique entendue doivent faire un». Tout doit être contrôlé et sans mystère. Le hasard est exclu. Voir exemple musical de cette technique It’s gonna rain (1965-1966).
Dans cette conception, ce qu’il y a de frappant est l’importance donnée à la « speech-melody » et au texte, traits qu’on aurait dits « classiques » bien que les petits motifs mélodiques collant au texte syllabisé servent surtout un art du son. La part accordée à l’émotion suscitée par l’immersion dans le matériau sonore de la voix, tranche aussi avec les vues contemporaines des compositeurs utilisant l’électronique. Devenir la voix, la jouer du dedans comme se glisser à l’intérieur du processus, produit cette émotion sans nuire à l’impersonnalité d’une musique d’exécution quasi rituelle, où chaque musicien se fond dans un ensemble, en «sortant de soi vers l’extérieur». Exemple : Music for 18 musicians (1976).
La dimension réceptive de cette écoute renforcée par le parti de faire «tout entendre» contraste avec l’aspect savant de la composition où Steve Reich n’a pas hésité à adapter le cantus firmus tout en déclarant s’inspirer des ressemblances de famille de Wittgenstein. L’intérêt pour Wittgenstein (étudié à l’université) se révèle encore dans la pièce vocale Proverb (1995) où le procédé de syllabisation d’une « Remarque Mêlée » produit un canon envoûtant. Une musique obtenue par innovation technique qui ne réussit pas à toucher n’a pas d’intérêt, mais, ajoute-t-il, « il faut que ça marche intellectuellement ».
Je discuterai l’explication que Leonard Meyer a donnée de la « redondance » dans des musiques comme celle de Steve Reich, due au déclin de l’attention causé par développement de la technologie des appareils d’écoute, et l’argument que dans le futur les musiques actuelles distinctes de la contemporaine seront dominées par « la possibilité pour tous de jouir de l’art qu’il aime » (aspect « égalitarien »), par opposition à « l’obligation pour tous d’aimer le même art » (aspect élitiste).
Je montrerai que Steve Reich déjoue cette prévision par le très grand soin qu’il confère aux deux sortes d’écoute que j’ai distinguées.

Musique savante/musiques actuelles : articulations JAM14 : journées d'analyse musicale 2014 de la Sfam : journée 2

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