Participants
  • Andrea Giomi (conférencier)

En 2008, le célèbre label allemand Deutsche Grammophon commandait à Carl Craig et Moritz Von Oswald – deux géants de la musique techno – une réélaboration des enregistrements de Maurice Ravel (Bolero et Rapsodie espagnole) et Modeste Moussorgski (Tableaux d’une exposition) à partir du vocabulaire de la musique électronique actuelle. Le produit final, «ReComposed», a été réalisé par Craig et Von Oswald « en jouant et en manipulant en temps réel» des boucles obtenues à travers la sélection et la fragmentation des matériaux provenant presque uniquement des compositions désignées. Le processus créatif mis en œuvre naît de la rencontre entre le vocabulaire de la musique populaire (notamment techno), des matériaux savants (la musique de Ravel et Moussorgski) et des procédures techniques dérivant soit de la musique minimaliste, soit de la musique électroacoustique. Les procédures créatives et technologiques employées pour «ReComposed» ont donc été analysées en tenant en compte des trois orientations théoriques.
1. Phénoménologie de l’objet sonore et spectromor- phologie (Schaeffer, Smalley, Thorensen).
2. Notion d’espace sonore dans les œuvres phono- graphiques actuelles (McAdams).
3. Origines de l’esthétique de la répétition à partir des compositeurs minimalistes (Girard, Johnson).
L’analyse spectromorphologique des processus de transformation électronique des boucles montre comment la notion de répétition est l’aspect prééminent de ce travail de re-composition.
1. Tout d’abord les compositions originales choisies pour cette re-écriture sont caractérisées par une uti- lisation particulière de la répétition : l’incessant retour du motif descendant qu’ouvre la Rapsodie espagnole, la nature récursive du thème de la Promenade de Tableaux d’une exposition, et enfin la répétition obs- tinée du « schéma » du Bolero.
2. Ensuite, l’utilisation structurale des boucles révèle la tentative de reconduire l’univers instrumental vers l’univers technologique de certaines techniques typiques du minimalisme américain. Comme il a été
remarqué (Girard, 2010), certaines techniques nées sur le terrain de la répétition comme le déphasage de Reich, l’accumulation de différentes lignes de retard de Riley et les structures additives de Glass sont le résultat d’un transfert du domaine de la machine au domaine de l’écriture instrumentale. Craig et Von Oswald reviennent sur de telles techniques – devenues désormais instrumentales après ce transfert historique – et les reconduisent sur le terrain de la manipulation technologique actuelle en produisant un véritable re-transfert. En radicalisant le substrat répétitif caractéristique du vocabulaire technologique de la musique actuelle, les deux compositeurs amorcent ainsi une valorisation structurale des micro- variations spectrales, rythmiques, stéréophoniques et de tempo, au point de produire un remarquable enrichissement du concept de répétition musicale.

Musique savante/musiques actuelles : articulations JAM14 : journées d'analyse musicale 2014 de la Sfam : journée 2

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