Pianiste et compositeur, sculpteur de sons électroniques puis auteur de partitions pour instruments acoustiques, s’attelant tant à des oeuvres de concert qu’à des projets gigantesques tels que musique de films ou opéra, Michael Obst est un magicien sonore à la sensibilité raffinée et au savoir-faire incontestable.
Son parcours est loin d’être banal : c’est durant ses études de pédagogie musicale à Mainz qu’il rencontre le célèbre pianiste Alfons Kontarsky. Avec celui-ci, puis avec Aloys Kontarsky, son frère, Obst décide de poursuivre ses études, approfondissant en tant que pianiste sa connaissance du répertoire contemporain. Durant ses études de piano à Cologne, il travaille au Studio de Musique Electronique du Conservatoire et c’est là qu’il entamera ses premiers projets de composition : ces essais - électroacoustiques - se révèlent bien vite fructueux, car les oeuvres alors réalisées (Metal Drop Music, Ye-Na-Je, Kristallwelt I…) se voient primées dans des lieux consacrés comme les festivals de Bourges ou Varese (Italie). La critique perçut dans ces oeuvres «une manière de penser instrumentale tout à fait inhabituelle dans le domaine de la musique électronique».
En tant que pianiste, Obst participa, en 1981, à la création de l’Ensemble Modern : bien vite, cet ensemble développa une intense politique de concerts et surtout de création d’oeuvres nouvelles. Cette expérience fournit à Obst un bagage musical qui constitua pour lui la meilleure école de composition instrumentale : «C’est par cette activité de pianiste dans l’Ensemble Modern que j’ai appris la composition, jusque dans ses aspects les plus pratiques (les notions de forme et de temps, mais aussi de notation et d’instrumentation)».
Dès 1986, Obst se décide à consacrer plus de temps à la composition, réduisant peu à peu son activité de pianiste. Il s’intéresse de plus en plus à la musique instrumentale, et la pensée compositionnelle qu’il y développe découle directement de son expérience électronique : «Je souhaitais explorer comment il était possible d’appliquer aux instruments des moyens expressifs propres au domaine électroacoustique. Bien vite, cela m’amena à travailler la qualité du son et à développer des spectres sonores dans ma musique instrumentale, dont le mouvement pouvait se comparer aux conceptions électroacoustiques».
Ainsi, Kristallwelt III fut d’abord conçue comme une oeuvre pour bande ; ce n’est qu’ensuite que Obst y ajouta l’effectif instrumental qui l’accompagne et l’enrichit. Dans Nachtstücke, par contre, c’est la virtuosité instrumentale qui prime, le son électronique n’en constituant qu’un prolongement occasionnel. Des oeuvres purement acoustiques apparaissent, comme Fresko, Nuances et Miroirs .
Mais qu’il fasse appel aux sons électroniques ou aux instruments de l’orchestre, Obst en dégage toujours une pensée foncièrement «matérielle», c’est-à-dire licite au matériau sonore lui-même. Ce matériau est soumis à un traitement virtuose, dont se dégage une force émotionnelle particulièrement saillante. Ce n’est donc pas un hasard, si Obst avoue une grande admiration pour Luciano Berio : «La musique de Berio des années soixante et soixante-dix m’a énormément influencé. J’y ressens également une manière italienne de concevoir le son, moins lourde et intellectuelle que dans la musique allemande, et basée sur un savoir-faire mêlé de légèreté et de plaisir du geste. Ce geste instrumental a d’ailleurs toute son importance dans ma musique»
Dès 1991, Obst va s’attaquer à des projets de plus grande envergure, à commencer par la musique pour la version intégrale (près de 5 heures) du célèbre Dr Mabuse de Fritz Lang. Ce film muet de 1922, mythique et monstrueux par sa tension dramatique et sa description d’une Allemagne en plein désarroi, nécessitait un traitement musical particulier : «si dans le film la représentation de l’histoire fait intervenir des niveaux si différents, qui vont des épisodes comiques à la violence et au crime, voire à la manipulation physique, en passant par la description de cabarets de variétés et des salles de jeux, il fallait que, dans la composition, je tente d’atteindre une structuration analogue à celle du film».
Composer une musique fort complexe pour une durée aussi longue apporta à Obst une expérience de la durée musicale qui ne s’apprend pas par la composition d’oeuvres de dimensions plus «normales». C’est ce que lui permit de concevoir deux autres oeuvres majeures : Diaphonia (1994) pour orchestre (commande du Festival de Donaueschingen) et Solaris, son premier opéra créé à la Biennale de Munich en 1996. Ces deux oeuvres constituent également les meilleurs exemples de la pensée de synthèse - ou de l’ars combinandi - de Obst entre moyens électro-acoustiques et effectif instrumental, entre pensée de la scène et exploration de l’espace virtuel par l’électronique, entre pensée de la forme et nécessité de la tension dramatique. Diaphonia apparaît comme une tentative sensiblement réussie de mettre en relation la perception harmonique et spectrale (y compris à l’aide des nouvelles technologies de transformation du son), d’une part, et le cadre formel qui, sans être contraignant, élabore un parcours extrêmement séduisant dans une architecture solidement charpentée. Les groupes orchestraux étant répartis autour du public, Obst crée ainsi une forte interaction entre espace et temps musical.
Enfin, Solaris jette un pont entre le travail pour le cinéma, les oeuvres orchestrales et un travail scénique proprement dit. Obst à conçu, à partir d’une nouvelle de Stanislav Lem, un drame psychologique où les relations entre les personnages prisonniers d’une cabine spatiale priment sur l’action visionnaire et futuriste propre à la science-fiction. Et c’est encore le cinéma qui lui fournit le rythme de l’écriture pour opéra : «pour toutes les questions de mouvement et d’action, de développement scènique, de timing dans le livret et dans la musique, j’ai énormément appris en regardant de nombreux films, car les films sont en quelque sorte des opéras. Un bon film vous donne une sensation pleine, fournit une impression multiple d’une situation complexe. Et un bon opéra doit aussi pouvoir faire cela, mais en temps réel».
Voilà bien la différence essentielle, trop souvent négligée, entre le film et l’opéra, qui doit constituer une donnée de base de la composition. Là où le cinéma a développé toutes les techniques de montage, de découpage et de trucage scénique, l’opéra ne peut que mettre l’accent sur le hic et nunc de l’événement. Mais aujourd’hui les possibilités offertes par le «live électronique» permettent d’étendre les projections temporelles et spatiales du son en dehors de la scène. «Dans l’opéra d’aujourd’hui, la musique permet de retrouver toutes les possibilités apportées par le cinéma, tous ces niveaux virtuels de sens, et de les ramener dans la salle de théâtre. Ce qui donne à la musique un rôle nouveau et évidemment très important».