NĂ© en 1966 Ă  Gifu (Japon), Ryoji Ikeda est un artiste visuel et compositeur de musique Ă©lectronique minimaliste. À treize ans, il joue de la guitare dans un groupe de rock, mais il ne dĂ©montre pas d’aptitude ni d’appĂ©tence particuliĂšre pour la pratique instrumentale. À dix-huit ans, il quitte sa ville natale pour Ă©tudier l’économie Ă  l’UniversitĂ© de Tokyo, mĂȘme s’il dĂ©clare aujourd’hui n’avoir aucun souvenir du nom de son cursus, ou de ce qu’il a pu Ă©tudier Ă  l’époque. AprĂšs avoir reçu (miraculeusement) son diplĂŽme, il reste dans la capitale, oĂč il officie en tant que DJ dans les clubs tokyoĂŻtes, oĂč il dit avoir « tout appris ».

Avec d’autres anciens Ă©lĂšves de l’universitĂ©, il fonde le collectif multidisciplinaire Dumb Type, constituĂ© de danseurs, puis d’architectes, plasticiens, performers et musiciens. Ensemble, ils interrogent et matĂ©rialisent les flux de donnĂ©es avec un langage fortement marquĂ© par les nouvelles technologies de l’informatique : ils produisent plusieurs piĂšces (pleasure life, s/n, lovers) qui leur permettent de voyager et d’aiguiser leurs techniques, et leur regard critique. C’est notamment depuis cette Ă©poque que Ryoji Ikeda systĂ©matise une approche collaborative Ă  l’élaboration de ses Ɠuvres : grĂące Ă  Dumb Type, il prend l’habitude de travailler avec programmeurs, designers, informaticiens mais aussi architectes. On ne lui connaĂźt pas de professeur ou de modĂšle qu’il tente de suivre : Ryoji Ikeda n’a que des collaborateurs.

Le critique musical Atsushi Sasaki, proche d’Ikeda, raconte avoir ignorĂ© pendant longtemps que son ami Ă©tait musicien : « un jour, il m’a dit soudainement « en fait, je fais du son », puis le temps est passĂ©, puis j’ai reçu un disque blanc. » C’était les 1000 fragments, premier disque du compositeur et fait de trois piĂšces : Luxus, 5 zones et Channel X. DĂšs cette Ă©poque (1995), son langage est affirmĂ©, structurĂ© : utilisation de frĂ©quences trĂšs hautes et trĂšs basses, Ă©vocation d’outils informatiques comme le radar, patterns rythmiques superposĂ©s avec une prĂ©cision millimĂ©trĂ©e. La suite ne fera qu’ajouter des niveaux de complexitĂ©, de nouvelles textures Ă  un ensemble dĂ©jĂ  cohĂ©rent : en 1996, Ikeda termine +/-et headphonics et en 1998, 0°, C, time et space. Avant le tournant du siĂšcle, le bug de l’an 2000 et la gĂ©nĂ©ralisation des ordinateurs personnels et d’internet, Ryoji Ikeda sait parfaitement que son esthĂ©tique est intrinsĂšquement et dĂ©finitivement liĂ©e aux sons et aux machines.

Il y aura quelques exceptions : la premiĂšre est la sĂ©rie Op. (diminutif de opus), pour ensemble d’instruments Ă  cordes. Cette sĂ©rie, prĂ©sente sur l’album du mĂȘme nom, est ce que son catalogue actuel compte de plus accessible : on y retrouve cependant beaucoup d’ingrĂ©dients de ses Ɠuvres « informatiques » : aigus Ă©thĂ©rĂ©s (violons), silences calibrĂ©s, distribution panoramique du son, extrĂȘme concision de l’écriture. La deuxiĂšme arrivera une quinzaine d’annĂ©es plus tard, avec la suite pour percussion, de la sĂ©rie Op. (Body Music, Metal Music).

Toute l’Ɠuvre de Ryoji Ikeda est traversĂ©e par l’idĂ©e de polaritĂ©. Ses pochettes d’album (qu’il rĂ©alise lui-mĂȘme) ne sont constituĂ©es que de noir et de blanc. Ses titres de piĂšces, aussi bien que leur contenu, sont habitĂ©s par les chiffres 0 et 1. DerriĂšre ces extrĂȘmes, il y a la question de l’infini : +/-, reprĂ©sente ainsi l’infinitĂ© de chiffres entre 0 et 1. Il nous est donc important de prĂ©ciser que ses piĂšces sont fortement influencĂ©es par son intĂ©rĂȘt (pour ne pas dire obsession) pour les mathĂ©matiques, comme en tĂ©moigne sa collaboration avec le mathĂ©maticien Benedict Gross, professeur Ă  Harvard pour son cycle d’Ɠuvres V≠L. Ryoji Ikeda crĂ©e parfois sans aucun son, confectionnant sur papier et aluminium.

Sa curiositĂ© pour les sciences touche Ă©galement Ă  la mĂ©canique quantique, dont il a puisĂ© son inspiration pour superposition. Il prĂ©cise cependant que l’interprĂ©tation de ses Ɠuvres n’est jamais unidimensionnelle, qu’elles s’inspirent mais ne paraphrasent pas des donnĂ©es scientifiques, et que les titres sont forgĂ©s de maniĂšre Ă  provoquer chez le visiteur des significations trĂšs variĂ©es. Son approche, dit-il, est avant tout « pratique » et non « conceptuelle », et sa mĂ©thode d’écriture est, selon lui, « trĂšs intuitive ». Quelle finalitĂ© peut-on donc imaginer, Ă  propos de son association entre musique et mathĂ©matiques ?  « La beautĂ©, c’est du crystal, de la rationalitĂ©, de la prĂ©cision, de la simplicité le sublime est infini : infinitĂ©simal, immense, indescriptible. Les mathĂ©matiques sont une des formes les plus pures de beauté ». PuretĂ©, cohĂ©rence, prĂ©cision : on touche sans doute ici aux caractĂ©ristiques premiĂšres de chaque Ɠuvre de Ryoji Ikeda.

Sa technique est aussi celle de la variation : ses sĂ©ries spectra, matrix, datamatics, A ou encore dataphonics lui permettent de moduler ses concerts, installations et performances selon les lieux, les pays, les contraintes formelles et la modernisation des moyens ; datamatics compte par exemple prĂšs d’une vingtaine de versions, adaptĂ©es et prĂ©sentĂ©es Ă  TaĂŻwan, Ă  Madrid, Ă  Tokyo, Ă  Bogota, Ă  MontrĂ©al ou au Grand Palais de Paris. Sa sĂ©rie matrix a pu ĂȘtre entendue dans un container rouge aux Pays-Bas, dans un bĂątiment spĂ©cialement conçu par Zaha Hadid Ă  Londres et dans une chambre anĂ©choĂŻque Ă  Tokyo. Quant Ă  sa sĂ©rie A, Ă©tudiant la systĂ©matisation de la note « la » au cours de l’histoire, une de ses occurrences a convoquĂ© une centaine de voitures (et de chauffeurs) garĂ©es et soigneusement positionnĂ©es dans un garage de Los Angeles.

Ne dĂ©laissant pas le format de l’enregistrement, Ryoji Ikeda publie rĂ©cemment plusieurs Ɠuvres sur disque vinyle, comme The Solar System, code name A to Z et music for percussion, publiĂ©es par The Vinyl Factory.

En juin 2018, il est artiste invitĂ© au festival ManiFeste (Ircam), prĂ©sentant trois de ses Ɠuvres : datamatics, formula et C⁎*I. *

© Ircam-Centre Pompidou, 2018


Vous constatez une erreur ?

IRCAM

1, place Igor-Stravinsky
75004 Paris
+33 1 44 78 48 43

heures d'ouverture

Du lundi au vendredi de 9h30 Ă  19h
Fermé le samedi et le dimanche

accĂšs en transports

HĂŽtel de Ville, Rambuteau, ChĂątelet, Les Halles

Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique

Copyright © 2022 Ircam. All rights reserved.