Libro d’Aprile est l’avant-dernière pièce d’un cycle, initié par Giovanni Bertelli en 2007. Un cycle de quatre livres, un par saison. Sont déjà écrits le Libro d’inverno (2007) pour flûte seule, le Libro d’estate (2008) pour alto et ensemble. Pour le Libro d’autunno, créé en mars dernier, Giovanni Bertelli s’est tourné vers les écrits du poète Giorgio Caproni. Giovanni Bertelli profite de ce cycle au thème cent fois rebattu pour en jouer justement :en contournant les idées reçues, montrer ce que cette récurrence peut ouvrir au cœur de notre réflexion.
Si le compositeur préfère ici le mois d’Aprile à la saison Primavera, c’est qu’il veut reproduire dans son titre le jeu de mot qui apparaît dans les autres : en italien, Libro d’Aprile peut tout aussi bien désigner le « Livre d’avril », c’est-à-dire une description littérale du mois d’avril, ou le « Livre d’Avril » – en supposant qu’Avril l’a écrit ou qu’il lui appartient. Une ambiguïté délibérée, par laquelle le compositeur entend refléter en partie l’idée générale qui a présidé à l’écriture de la pièce et du cycle : un même objet peut être considéré comme écriture – et donc action personnelle, singulière et historique – mais aussi comme simple événement, soumis aux lois de la perception plus que de la culture : un objet qui s’offre aux sens et se contente d’être là. « Je pense la musique comme une narration, dit Giovanni Bertelli. Une narration parsemée d’éléments qui sont autant d’indices et de guides, apparemment étrangers au sujet, mais qui suggèrent à l’auditeur quelque chose de souterrain, de dissimulé, sous ou derrière la musique. Ainsi la musique révèle-t-elle toujours un insaisissable – au reste non musical, ou non reconnu comme tel – dont elle ne fait que dégager le creux.
Dans mon écriture, et notamment dans Libro d’Aprile, je cherche justement à communiquer ce sentiment ambigu : la figure musicale, le geste musical est, certes, le résultat d’un acte d’écriture, le mien, mais tout à la fois un objet permanent, qui existe indépendamment de moi et de ma musique. Comment faire passer cette figure immanente, qui se fond avec le silence, au-devant de la scène sonore ? En écrivant Libro d’Aprile, je pensais à ces esquisses de Watteau par exemple, sur lesquelles les figures semblent sortir de la trame de la page. À mieux y regarder, le fond blanc (la page), dont le rôle n’est habituellement que de laisser surgir les figures, revendique un rôle, devient absence perceptible, espace caché mais actif cependant. Le fond sonore n’est pas un paysage, c’est un espace de tous les possibles, d’où l’un ou l’autre pourra sortir, dessiner ses contours, révéler sa silhouette, avant de se retirer pour laisser la place à la suivante : la figure meurt pour redevenir musique, et faire naître un espace nouveau dans lequel d’autres figures pourront se dévoiler. »
C’est donc l’histoire de ces gestes qui se dessinent, interagissent puis s’estompent que nous raconte ce « Livre d’Avril ». La spatialisation jouera un rôle prépondérant : elle donnera le relief aux figures, sculptera l’espace et ses résonances. Plus qu’un travail de la localisation et du mouvement du son, elle dessine les qualités acoustiques des différents espaces (le fond sonore et le devant de la scène) et leurs réactions par rapport aux figures du quatuor.
Jérémie Szpirglas, programme du concert de la création, 22 juin 2012, ManiFeste Ircam.