Erik Satie occupe une place toute particulière dans la musique française. Après des études superficielles de piano, d’harmonie et de solfège au Conservatoire de Paris, il compose des oeuvres strictes d’une grande économie harmonique, dans un style «plain-chant» (Ogives, 1886), qui dénotent son intérêt pour le Moyen Age. Tout aussi simple et stylisé dans son «tachisme», Sarabande (1888) paraîtra révolutionnaire sur le plan harmonique. Seules les Trois Gymnopédies (1888) et les Six Gnossiennes (1890-91) connaîtront la faveur d’un grand public.
Pianiste accompagnateur au Cabaret du Chat-Noir, puis à l’auberge du Clou où il rencontrera Debussy qui orchestrera plusieurs de ses oeuvres, Satie s’oriente ensuite vers un art sobre, de plus en plus dépouillé, s’appuyant sur un vocabulaire musical des plus réduits, et mis au service d’une foi ou d’une esthétique. Un moment engagé auprès du «Sâr» Peladan dans le mouvement de la Rose-Croix, Satie fondera plus tard une Eglise métropolitaine d’art de Jésus conducteur !, dont il sera le seul adepte et l’unique rédacteur du bulletin paroissial. La musique qu’il produit (Messe des pauvres, 1895), de plus en plus minimale, archaïque, s’enlise dans une dérision qui semble vouloir conjurer, pour certains, une crainte de l’impuissance artistique. Réfugié à Arcueil, il écrit des recueils pour piano aux titres incongrus ou dérisoires, assortis d’annotations burlesques d’exécution ou de poèmes humoristiques : Trois Morceaux en forme de poire (1903), Véritables Préludes flasques pour un chien (1912), Trois Valses distinguées du précieux dégoûté (1914).
L’estime de Debussy l’engage à reprendre en 1905, à trente-neuf ans, des études de contrepoint à la Schola Cantorum, afin d’enrichir sa syntaxe et son vocabulaire musicaux. Mais il ne peut se départir d’un esprit de révolte qui lui fait penser que l’art en est arrivé au «temps du dérisoire». Aussi est-il souvent choisi comme porte-étendard de croisades intellectuelles : anti-d’Indyste, anti-académique, anti-impressionniste avec Jean Cocteau. Souvent sans le vouloir il devient ainsi le précurseur de nouvelles formes auxquelles d’autres que lui attacheront leur nom : musique «de fond», graphique, conceptuelle, de collage, ininterrompue (Sports et Divertissements, Parade, Vexations…). Le ballet cubiste Parade en collaboration avec Cocteau ouvre la voie à la musique objective des répétitifs américains. Mais c’est dans son «drame symphonique» Socrate (1918), pour trois mezzo-sopranos, soprano et orchestre de chambre, dans un style de récitatif nu et austère, que Satie porte sa musique, pourrait-on dire, à sa quintessence de «pauvreté» et d’«inexpressivité». Associé à tous les mouvements d’avant-garde, lui-même fondateur d’une «Ecole d’Arcueil» avec Sauguet, Max Jacob, Koechlin, c’est davantage sa personne emblématique qui est revendiquée que sa musique, qui ne sera jamais appréciée, de son vivant, dans sa parfaite autonomie, quelles que soient les couronnes que l’on ait pu tresser postérieurement (John Cage, par exemple) à son travail de «pionnier».