Né le 6 juillet 1898 à Leipzig, Hanns Eisler grandit à Vienne à partir de 1901 et se plaît à se présenter comme issu de l’union de deux classes sociales : bourgeoise du côté paternel (philosophe de métier) et prolétarienne du côté maternel. Mélomanes avertis, ses parents lui font découvrir lieder et airs d’opéra, mais ne peuvent lui offrir de piano. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Eisler, encore lycéen, co-signe avec son frère un tract pacifiste. Envoyé au front en 1916, il revient blessé à Vienne en décembre 1918. Entretemps, la monarchie austro-hongroise s’est écroulée. Vienne est au bord de la famine. La vague révolutionnaire, bien que rapidement réprimée, laisse émerger le Parti communiste autrichien, dont le frère et la sœur d’Eisler sont membres fondateurs. Lui-même participe à des actions ponctuelles, comme la distribution de tracts, sans s’engager encore pleinement à cette époque.
Son activité musicale a la priorité : de 1919 à 1923, Arnold Schoenberg lui dispense, gracieusement, des cours de composition. Pour subsister, Eisler corrige des partitions pour les éditions Universal, dirige des chœurs d’ouvriers et enseigne la musique aux classes populaires.
La deuxième phase de sa vie se déroule à Berlin, fief de l’avant-garde, où il obtient un poste au conservatoire Klindworth-Scharwenka et découvre le théâtre d’Erwin Piscator. La capitale allemande subit alors une crise sociale qui le renforce dans la lecture marxiste de la réalité de son temps. En mars 1926 a lieu la rupture avec Schoenberg. Ce dernier a eu écho de critiques qu’Eisler a exprimées à son égard. Il est exact que celui-ci dénonçait l’isolement social de la nouvelle musique. Un séjour à Paris, à l’été 1926, lui avait ouvert les yeux : dans le salon de Marya Freund, interprète du Pierrot lunaire, il avait rencontré Ravel, Milhaud, Poulenc, Ibert, Roussel, dont les discussions tournaient autour du surréalisme et de la psychanalyse, alors que lui voulait mettre la nouvelle musique au service de causes sociales. Eisler publie des articles expliquant sa vision et, fin 1927, s’associe à la troupe berlinoise d’agit-prop Le Porte-voix rouge (Das rote Prachrohr) comme compositeur, pianiste et chef d’orchestre. La crise de 1929 renforce ses convictions. Commence alors une collaboration avec Bertolt Brecht qui durera jusqu’à la disparition de ce dernier en 1956.
La troisième période de la vie d’Eisler est celle de l’exil, voire de l’errance : en 1933, il part en Tchécoslovaquie, puis à Paris. Début 1937, il se rend auprès des Brigades internationales en Espagne et compose pour elles, avant de retrouver Brecht au Danemark. La même année, un séjour à Prague lui donne l’occasion de rédiger avec Ernst Bloch des articles qui expliquent que révolution musicale et révolution sociale vont de pair. En janvier 1938, il accepte un poste à la New School for Social Resarch de New York. Pour des questions de visa, il doit quitter les États-Unis d’avril à septembre 1939 et va au Mexique où il dispense des cours d’harmonie. De retour aux États-Unis, on lui confie un projet de recherche sur la musique de film. En avril 1942, il s’installe à Hollywood. Il renoue alors avec Schoenberg, peut travailler avec Theodor W. Adorno, Thomas Mann et Bertolt Brecht, et compose pour le cinéma. Convoqué à la fin de la guerre devant la commission sur les activités non américaines, dénoncé, comme son frère Gerhart, par sa sœur (qui tenait ses frères pour des staliniens), il doit quitter les États-Unis : il fait une première étape à Prague, en mars 1948, où il tient un discours réclamant de repenser l’esthétique musicale au vu du nouveau contexte, d’arrêter quelque temps les expérimentations, et de redonner à la musique un caractère « joyeux et agréable ». À Vienne, ville partagée en quatre zones d’occupation, il essaie vainement d’obtenir une chaire de composition au conservatoire. C’est dans la capitale de la toute nouvelle RDA, Berlin, qu’il s’installe en 1949.
Bien que compositeur officiel, notamment de l’hymne national est-allemand, Eisler se heurte aux responsables culturels. Sa nationalité autrichienne lui permet de trouver un refuge provisoire à Vienne lors des tracasseries que lui inflige le régime. Malgré tout célébré en RDA comme compositeur national, participant à la « vitrine » culturelle du nouvel État, Eisler était dans un entre-deux : pour lui, la modernité musicale devait être au service de la révolution sociale que le Parti socialiste unifié (SED) semblait en passe de réaliser ; mais ce même parti décriait la modernité artistique comme ayant fait le lit du fascisme. Les débats idéologiques sur son œuvre se poursuivront longtemps après son décès brutal, à Berlin, le 6 septembre 1962.