Parcours de l'œuvre de Marc Monnet

par Pierre Rigaudière

Toutes ses biographies, aussi incomplètes que courtes, sont unanimes : Marc Monnet dĂ©teste les biographies. Renonçons provisoirement Ă  voir dans ses efforts pour brouiller les cartes – il s’est par le passĂ© amusĂ© Ă  mettre en circulation quelques dates et faits quelque peu fantasques â€“ la manifestation d’un goĂ»t prononcĂ© pour la théâtralitĂ© qui inclurait chez le compositeur sa propre mise en scène, ou encore Ă  y lire le rĂ©sultat d’une rhĂ©torique du refus et de la nĂ©gation. Il est certes tentant de dĂ©finir en creux certains aspects du personnage Ă  partir de ce qu’il rĂ©fute, mais essayons d’abord, comme il nous y invite, de le cerner Ă  partir de sa musique.

Le musicologue Frank Langlois estime que « Marc Monnet n’a pas de langage musical propre mais des stratĂ©gies d’écriture ; il ne conçoit pas de formes mais des dispositifs1 Â». Venant conforter ce point de vue, la chronologique des Ĺ“uvres, qui ne laisse guère en effet apparaĂ®tre de constantes de langage, incite mĂŞme Ă  renoncer Ă  suivre dans la production du compositeur des veines stylistiques pour se concentrer plutĂ´t sur les attitudes vis-Ă -vis des genres abordĂ©s.

Le piano

Pouvant ĂŞtre considĂ©rĂ©es comme une donnĂ©e biographique fiable, les Ă©tudes pianistiques qui conduisent en 1960 l’adolescent de treize ans au Conservatoire de Paris ne sont pas sans incidence sur sa sensibilitĂ© musicale. MĂŞme s’il se montre rĂ©fractaire aux mĂ©thodes d’apprentissage en vigueur et trouve bien Ă©triquĂ© le rĂ©pertoire alors pratiquĂ©, il dĂ©veloppe manifestement une certaine fascination pour la virtuositĂ©, qui marquera ses propres compositions pour l’instrument. En dĂ©pit d’une certaine duretĂ© de leur surface, les premières pièces pour ou avec piano demeurĂ©es au catalogue tĂ©moignent de l’attachement Ă  un geste instrumental ample et Ă  une large couverture du clavier, redevables, autant qu’à une certaine théâtralisation du jeu, au piano romantique, comme en attestent Boites en boite Ă  musique Ă  système (1977) pour deux pianos et, la mĂŞme annĂ©e, Musique(s) en boite(s) Ă  retour Ă  ..., oĂą les deux pianos cĂ´toient un contre-tĂ©nor et deux percussions.Deux ans plus tard, les huit petites pièces de La joie du gaz devant les croisĂ©es entrainent l’interprète (Jean-Claude Pennetier lors de la crĂ©ation) dans un dĂ©luge d’arpèges aussi monomaniaque que dĂ©moniaque. Après plus de quinze ans sans la moindre partition composĂ©e pour son instrument – absence que le compositeur impute, comme le rapporte Frank Langlois 2 Ă  l’effet inhibiteur sur sa gĂ©nĂ©ration des KlavierstĂĽcke de Karlheinz Stockhausen â€“, Monnet revient avec Imaginary travel (1996) Ă  un piano tout aussi spectaculaire, mais transportĂ© cette fois vers un ailleurs acoustique grâce Ă  la diffraction de ses rĂ©sonances par un dispositif Ă©lectronique de modulation en anneau. CĂ´toyant dans Chant fĂŞlĂ© une flĂ»te, une clarinette, un violon et un violoncelle, toujours nimbĂ© par une Ă©lectronique largement rĂ©verbĂ©rante, le clavier rassĂ©rĂ©nĂ© se fait tour Ă  tour rĂ©sonateur, halo harmonique, basse rythmique en bourdon, projection lumineuse et glas entĂŞtant. Tandis que le Trio n° 1 avec piano (1999) renoue avec les arpèges et les gerbes de notes, manifestant cependant une tendance rĂ©pĂ©titive assez perceptible, le second (2008) affirme avec plus de force une expressivitĂ© frontale, presque heurtĂ©e, dont l’un des ressorts principaux gagne du terrain : l’ostinato, envisagĂ© non pas comme un vecteur de transe ou comme le substrat de processus de variation, Ă  l’instar des mĂ©caniques folles de György Ligeti, mais bien davantage comme un mouvement compulsif, obsessionnel, irrĂ©gulier et vouĂ© Ă  l’entropie. Mais c’est probablement avec le premier livre de En pièces (2007, crĂ©ation en 2012) que culmine l’écriture pianistique de Marc Monnet. SoulignĂ© par le titre du recueil, l’aspect fragmentaire de ces douze pièces de durĂ©es très hĂ©tĂ©rogènes s’accompagne d’un climat de mystère diffus qu’entretiennent Ă©galement les didascalies et les intitulĂ©s de chaque pièce. Sur la base d’une remarquable Ă©conomie de moyens, la charge poĂ©tique de cet opus se nourrit autant d’une ironie au caractère ludique que de discrètes Ă©vocations. Ces pages qui tiennent alternativement de l’étude, de la miniature ou de la pièce de caractère pourraient ĂŞtre placĂ©es sous le parrainage de l’hĂ©donisme ravĂ©lien (1. « Ă‰clat Â»), de la stase debussyste (5. « De la rĂ©sonance Â» et 9. « L’autre voyage Â»), de l’énergie nerveuse de la toccata Ă  la Prokofiev (8. « Rythme-Ă©clats Â»), ou de l’introversion du Schumann-Eusebius (11. « Pour la mort d’amour Â»). La vĂ©hĂ©mence virtuose (6. « ExtrĂŞme Â») y alterne Ă  part Ă  peu près Ă©gale avec la retenue d’un discours rarĂ©fiĂ©.

Le théâtre

Par bien des aspects, la musique de Monnet relève d’une approche théâtrale. On sera cependant enclin Ă  suivre le compositeur lorsqu’il met en garde l’observateur contre un point de vue simpliste et biaisĂ© qui consisterait Ă  dĂ©duire de son compagnonnage avec Mauricio Kagel Ă  Cologne dans les annĂ©es soixante-dix une filiation directe. Monnet a tĂ´t clamĂ© – il n’était Ă©videmment pas le seul Ă  le faire â€“ la mort de l’opĂ©ra issu du modèle romantique. Mais il s’est Ă©galement montrĂ© sceptique face au théâtre musical – incluait-il celui de Kagel ? â€“, qui n’avait selon lui pas les moyens d’être plus qu’une option par dĂ©faut, un « opĂ©ra du pauvre Â». L’humour noir, qui diffĂ©rencie Monnet de Kagel, teinte assez largement sa production scĂ©nique, oĂą domine, sinon le thème de la mort, tout du moins la figure du mort, comme l’annonce d’emblĂ©e, Ă  la manière d’un blason, le nom de la compagnie fondĂ©e en 1985 : Caput Mortuum. Le cahier des charges qui oriente le travail d’une Ă©quipe intĂ©grant des comĂ©diens non musiciens stipule qu’il s’agissait alors de « crĂ©er une musique faite dès le dĂ©part en concevant l’œuvre (l'opĂ©ra) avec un travail oral avec les interprètes, associant une recherche vocale non limitĂ©e liĂ©e au mouvement, sans partir d'aucune narration, sinon celle du sujet. 3» La phrase finale de cet argumentaire permet d’apprĂ©cier l’influence qu’ont manifestement pu avoir sur cette conception de la scène les prĂ©ceptes d’Artaud : « Ainsi le “sens”, la “narration” et le “signifié”, s'excluent d'eux mĂŞmes pour aller vers une reprĂ©sentation sonore et profondĂ©ment sauvage, selon un entraĂ®nement technique rigoureux. Â»

Dans les annĂ©es qui prĂ©cèdent la production spĂ©cifiquement scĂ©nique du compositeur, une pièce comme Patatras !* *(1984) pour huit musiciens, suggère par son Ă©criture en alternance et en relais bien plus qu’en ensemble la dynamique langagière de personnages en conversation, tandis que MĂ©lodie pour voix et clarinette contrebasse semble dĂ©jĂ  entraĂ®ner Françoise KĂĽbler et Armand Angster, dĂ©dicataires de l’œuvre, sur le terrain d’une certaine ouverture musicale et d’une attitude corporelle théâtrale. La voix y est notĂ©e non pas sur des portĂ©es complètes mais sur une, deux ou trois lignes prescrivant une « hauteur indĂ©terminĂ©e mais relative Â», tandis que les sons multiphoniques de la clarinette sont laissĂ©s « au choix Â». Le matĂ©riau vocal est entièrement phonĂ©tique, mais la notation de la dynamique y est en revanche prĂ©cise. La compagnie proposera en 1986 la crĂ©ation de la courte pièce Inventions pour 3 acteurs/vocalisateurs, un danseur et bande magnĂ©tique, augmentĂ©e l’annĂ©e suivante des Commentaires d'inventions.

Avec son titre programmatique, Ă€ corps et Ă  cris (1988) dĂ©veloppe le travail sur les attitudes corporelles (trĂ©pignement spasmodique, rĂ©pĂ©tition nĂ©vrotique du geste, posture guerrière) et plus gĂ©nĂ©ralement sur l’empreinte sonore de la corporalitĂ©. Conçu pour « pour trois interprètes vocalisateurs-acteurs et système MIDI Â», Probe tĂ©moigne l’annĂ©e suivante d’une rĂ©flexion sur l’espace scĂ©nique : confinĂ©e sur un praticable cruciforme immergĂ© au milieu du public, l’action prend forme, ou prend corps, dans un espace restreint, dĂ©limitĂ© pour elle et non, selon le point de vue du compositeur-metteur en scène, un espace utilitaire, ou subi, imposĂ© par le lieu de la reprĂ©sentation. Puis vient Fragments (1990-93), oĂą Monnet rĂ©duit encore la part du sonore non corporel et non vocal, et se passe une nouvelle fois de mots intelligibles, de trame narrative au profit d’une action en lambeaux oĂą dominent cris et gestes. Il est difficile d’estimer le rĂ´le qu’a pu jouer sa rĂ©sidence de quatre ans, Ă  partir de 1991, Ă  la Filature de Mulhouse, dans la prise de distance progressive du compositeur avec sa compagnie, mais c’est finalement juste après la dissolution de cette dernière que culminera, avec Pan! (2000-2004, crĂ©ation Ă  Strasbourg en 2005), sa production scĂ©nique. Sur la base de fragments du texte Ă©ponyme oĂą Christophe Tarkos (P.O.L., 2000) draine un flux verbal non ponctuĂ© et rythmĂ© par rĂ©pĂ©titions quasi litaniques, en vertu Ă©galement de la collaboration de Pascal Rambert, la mise en scène se fera moins minimaliste et manifestera mĂŞme une tendance Ă  la truculence avec le recours au calembour (deux paons blanc arpentent la scène, tandis que rĂ©sonne au moment crucial une dĂ©tonation de revolver) ; la musique quant Ă  elle gagnera en densitĂ© orchestrale. Un cycle comme les Chansons imprĂ©vues (1992), s’il relève aussi de toute Ă©vidence d’une dĂ©marche théâtrale malgrĂ© son statut de musique de concert, paraĂ®t devoir ĂŞtre examinĂ© comme une facette complĂ©mentaire, sur laquelle le compositeur, devenu auteur du texte (sauf pour « dĂ©capeur Â», dĂ» Ă  Valère Novarina), cesse de renvoyer dos Ă  dos, pour mieux les Ă©vincer, sens et non sens, pour abonder dans un sur-sens ou un sens surrĂ©aliste.

Les quatuors et l’univers chambriste

Comme de très nombreux compositeurs et en dĂ©pit de notes d’intention parfois radicales, Marc Monnet semble faire de ses rendez-vous avec le quatuor Ă  cordes des moments privilĂ©giĂ©s oĂą se concentre et se raffine l’écriture. La tentation iconoclaste s’y efface au profit de la validation implicite d’un genre synonyme d’intĂ©rioritĂ© et de quintessence. Le premier quatuor, Les tĂ©nèbres de Marc Monnet (1984), propose une matière sombre mais radiante comme une lumière noire. Le langage y est agitĂ©, frĂ©missant, ballotĂ© par l’instabilitĂ© d’une intonation glissante et le fort contraste de textures très diversifiĂ©es, mais canalisĂ© par des guides mĂ©lodiques souvent chromatiques ou diatoniques. Sa fin particulièrement discrète, comme esquivĂ©e, est Ă  l’antipode du coup de théâtre. Si, en dĂ©pit du fait qu’elles partagent avec le premier quatuor une certaine sobriĂ©tĂ© de l’écriture, il est difficile de considĂ©rer comme des esquisses ou des Ă©tudes les quatre pièces pour violoncelle solo qu’aura vu naĂ®tre la dĂ©cennie 80, il est tentant d’y voir un antidote apaisĂ©. L’introspection y est plutĂ´t mĂ©ditative, et l’ambiance nostalgique dominante, jamais pesante. Après la relative astringence de la Fantasia semplice en quatre mouvements, Chant (1984) apporte l’usage de l’intonation en quarts de tons, ainsi qu’un certain lyrisme, prolongĂ© dans Terzo (1987).

Plus marquĂ© encore par les disruptions, lacĂ©rĂ© par des silences subits ou des accords cinglants, Close (1993-94), le deuxième quatuor, illustre la façon dont le compositeur se mĂ©fie des formes globalisantes et « prĂ©fère jouer sur l’arbitraire de la forme : abolir l’unitĂ© de dĂ©veloppement au profit d’une fragmentation, renforcer les coupures, les silences 4». Premier volet d’un triptyque, il partage avec les quatuors no 3 et 4, Close-up et Closeness (1998) une part importante de son ADN musical. EncadrĂ© par un dĂ©but très tĂ©nu, tout en sons harmoniques ponctuĂ©s par le woodblock, et une fin tout aussi dĂ©pouillĂ©e oĂą un second accessoire, le triangle, fait son appariton, Closeness confirme la prĂ©dilection du compositeur pour les forts contrastes ; on peut aussi y noter un Ă©vitement de la polyphonie de voix, ainsi que la prĂ©sence rĂ©currente et structurante de fragments de gammes.

Le Quatuor Ă  cordes n° 6 (2007) est Ă  ce jour le plus long de la sĂ©rie, mais aussi le plus morcelĂ©. Ces huit « mouvements de quatuor Â», faits d’espaces « de fulgurance Â», « de plein Â» et « de rebond Â», font alterner mouvements furtifs, oscillations au demi-ton, glissements, notes rĂ©pĂ©tĂ©es façon code morse ou lignes effilĂ©es dans l’aigu. Le matĂ©riau, plus ouvert que dans les quatuors prĂ©cĂ©dents, inclut quelques accords tonals, comme les deux accords du cinquième mouvement (« espace de plein 2 Â»), prĂ©sentĂ©s successivement sous diffĂ©rents Ă©clairages, prend Ă©ventuellement un Ă©lan lyrique (6), de fugaces octaves qui apparaissent comme des fantĂ´mes beethovĂ©niens (3), un groove syncopĂ© et rĂ©pĂ©titif. L’oscillation qui clĂ´t le dernier mouvement renvoie explicitement Ă  l’« espace de plein 2 Â», suggĂ©rant une Ă©laboration formelle n’excluant pas le balisage macro-formel. Le Septième quatuor (2009) repose quant Ă  lui sur la rĂ©pĂ©tition et la mutation de motifs, procĂ©dĂ© rĂ©sultant en une juxtaposition de vignettes non exemptes ça et lĂ  de rĂ©sonances harmoniques expressionnistes.

Concertos clandestins

On ne peut qu’être frappĂ© par la constance avec laquelle Marc Monnet s’applique depuis le dĂ©but de notre siècle Ă  accompagner la crĂ©ation de chacun de ses concertos par un argumentaire visant Ă  dĂ©montrer qu’il ne s’agit prĂ©cisĂ©ment pas d’un concerto. Le compositeur n’écrit pourtant pas non plus d’anti-concertos, mais souhaite abolir toute rĂ©fĂ©rence au modèle social qu’il estime ĂŞtre inĂ©vitablement corrĂ©lĂ© au rapport soliste/orchestre : l’individu versus la masse, condamnĂ© Ă  un rapport de lutte ou de domination, quand bien mĂŞme ce rapport serait envisageable sous un jour dialectique. Pourquoi alors persister Ă  confronter un soliste Ă  un orchestre, le premier figurant en bonne place sur le programme du concert Ă  la diffĂ©rence frĂ©quente des musiciens anonymes du rang, et le plus souvent placĂ© sur le devant de la scène ? Mais surtout, pourquoi s’arrĂŞter Ă  ce rapport dominant/dominĂ© qu’un compositeur comme György Ligeti, avec son Concertopour violoncelle, avait musicalement dĂ©jouĂ© dès 1966 en favorisant un rapport d’inclusion, le soliste colorant et animant l’orchestre, sans pour autant renoncer Ă  la virtuositĂ© du soliste ? En dĂ©pit du dispositif imaginĂ© pour Bosse, crâne rasĂ©, nez crochu (1998-2000) afin de « permettre une Ă©coute plus active Â», qui consiste notamment Ă  « rompre l’ancienne forme concertante Â» par l’intercalation de trois intermèdes pour deux pianos entre les cinq mouvements, ou « ajout[er] de ci, de lĂ , un personnage perturbant l’écoute Â», ou encore « jou[er] sur les effets lumineux 5» – lĂ , l’homme de théâtre vient Ă  la rescousse du compositeur â€“, c’est le genre concerto qui l’emporte manifestement, par le fait mĂŞme que le(s) soliste(s) se dĂ©marque(nt) de l’ensemble en raison d’une densitĂ© virtuose supĂ©rieure, qui ne peut que le(s) singulariser acoustiquement. Devant cet objet musical particulièrement vivant et dynamique, oĂą entrent en collision les textures les plus diverses, parfois dĂ©multipliĂ©es par l’électronique (rĂ©alisĂ©e par l’Ircam, commanditaire de l’œuvre), on ne songe guère Ă  reprocher au compositeur d’avoir « accept[Ă©] de [se] fondre dans une forme du passĂ© 6», ce qu’il cherche absolument Ă  Ă©viter.

Épaule cousue, bouche ouverte, cĹ“ur fendu (2007-2008) est probablement la seule pièce impliquant solistes et ensemble dont Monnet ait effectivement fait un non concerto. Le violon soliste y intervient Ă  plusieurs reprises, notamment lors d’une longue introduction de plus de cinq minutes sur la petite demi-heure que dure l’œuvre, mais toujours strictement Ă  dĂ©couvert, de sorte qu’il n’est jamais confrontĂ© au reste de l’effectif. Quant au contre-tĂ©nor, il n’est sollicitĂ© qu’avec parcimonie et de façon quasi instrumentale. On retrouve, dans un univers Ă  l’ancrage tonal plus prononcĂ© qu’à l’accoutumĂ©e, la sensation de voir se succĂ©der des paysages musicaux changeants, incluant des sonoritĂ©s d’octaves, une motorique Ă©voquant autant Adams que Reich, des nappes vaporeuses, ou encore, grâce Ă  une partie Ă©lectronique consĂ©quente (Thierry Coduys, Ircam), un souvenir d’adagio post-romantique dĂ©liquescent, comme engluĂ© dans une intonation microtonale fuyante. Les modalitĂ©s d’intervention du violoncelle solo (apparition tardive, cadence extrĂŞmement rĂ©duite, matĂ©riau mĂ©lodique conjoint, cantonnĂ© dans un faible ambitus et souvent restreint Ă  une oscillation de seconde, long passage en dialogue avec la trompette), guère plus que les caractĂ©ristiques formelles (quatre mouvements principaux, entrelardĂ©s de fugaces « Ersatz Â» ou « Esquisses Â») n’occultent vraiment la nature concertante de Sans mouvement, sans monde (2010). L’adjonction Ă  l’orchestre d’accessoires quelque peu anecdotiques, reconduite dans mouvement, imprĂ©vus, et... (2012-2013) « pour orchestre, violon et autres machins Â», relève sans doute de ces stratĂ©gies destinĂ©es Ă  intervenir sur l’écoute. La sirène Ă©lectrique vient renforcer une matière assez dure, traitĂ©e par blocs, tandis que l’éoliphone semble convoquĂ© autant pour sa charge rĂ©fĂ©rentielle que pour son apport acoustique de bruit blanc. Rien n’interdit d’entendre la dĂ©flagration d’arme Ă  feu comme une auto-rĂ©fĂ©rence Ă  Pan!, qui avait Ă©galement Ă©tĂ© crĂ©e lors du festival strasbourgeois Musica. Abstraction faite de quelques glissandi et sons lĂ©gèrement Ă©crasĂ©s, la partie de violon repose sur une virtuositĂ© qui prolonge, plus qu’elle ne rompt avec, les canons romantiques. Mais Ă  la diffĂ©rence d’Épaule cousue…, dont la partie de violon Ă©tait dĂ©jĂ  destinĂ©e Ă  Tedi Papavrami, l’alternance du soliste et de l’orchestre n’occasionne plus, après le long solo initial, l’exclusion rĂ©ciproque.

L’activitĂ© de Marc Monnet en tant qu’organisateur et programmateur n’est pas sans lien avec son Ĺ“uvre. C’est comme pensionnaire de la Villa MĂ©dicis Ă  Rome, de 1976 Ă  1978, qu’il fondait la « Semaine de musique contemporaine Â», première vitrine de l’activitĂ© des compositeurs destinĂ©e Ă  un public extĂ©rieur, et dont il allait conserver la direction quatre ans après le terme de son sĂ©jour romain. La carte blanche qu’il obtenait en 2002 en se voyant  confier la direction artistique du Printemps des Arts de Monaco, aura montrĂ©, après une dizaine d’éditions de ce festival, comment ses programmes rejoignent, en certaines de leurs caractĂ©ristiques, ses compositions : ouverture et diversitĂ© de la matière musicale, souci de la forme et de la mise en scène du concert, expĂ©rimentĂ©es bien au-delĂ  des frontières de la salle et de la durĂ©e d’un rendez-vous unique, souci de l’attitude d’écoute du public et, Ă©ventuellement un zeste de provocation. Bien que soucieux de ne pas confondre sa position institutionnelle et son activitĂ© de compositeur, et notamment de ne pas faire de la première le promoteur de la seconde, Marc Monnet projette inĂ©vitablement son identitĂ© de crĂ©ateur sur celle du festival dont il a la charge, au bĂ©nĂ©fice de celui-ci. RĂ©fractaire aux conventions, portĂ© vers l’invention, cohĂ©rent mais peu prĂ©visible, il garde les mains libres pour crĂ©er la surprise.

  1. Notice du CD ZZT100403, p. 7 (livret non paginé).
  2. Idem, p. 2 (livret non paginé).
  3. Site du compositeur : http://www.marcmonnet.com/caput-mortuum.html
  4. Entretien avec Jacques-Emmanuel Fousnaquer, notice du disque Montaigne 782008, p. 6, 1992.
  5. L’ensemble de ces citations provient de la partition éditée par Cerise Music.
  6. Notice de la partition.
© Ircam-Centre Pompidou, 2013


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