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Composé par Henry Fourès , concert du 30 septembre 2015
Je connais depuis longtemps le jongleur Jérôme Thomas. Nous avons joué ensemble, dans les années 90, au sein d’un trio piano, jonglage et percussion que nous formions avec le tambouriniste Carlo Rizzo. L’une des créations du trio fut programmée au Festival Musica en 1998. J’ai par ailleurs invité Jérôme Thomas à participer à plusieurs de mes créations dont le livre des traditions pour octuor, œuvre qui nous fut commandée conjointement avec Luc Ferrari par la WDR de Cologne.
Ces expériences mettaient en jeu deux lignes qui ne cessent de m’animer : d’une part le travail commun en « atelier » où se croisent des personnalités, des traditions, des manières d’inventer et des disciplines d’ordinaire séparées ; d’autre part la question de l’écriture du geste, en l’occurrence du geste jonglé, intégrée dans la composition à l’égal des autres parties instrumentales. Il était logique que ces « recherches » se développent un jour, par le truchement des nouveaux outils technologiques et de l’informatique musicale, dans une forme plus intégrée, où les caractéristiques gestuelles puissent être traduites, manipulées, bref « composées » en une véritable partition de musique de chambre.
Ce qui n’était pas possible alors le devient aujourd’hui.
Concevoir un nouveau projet d’écriture où l’un des arts du cirque, le jonglage, considéré pour sa musicalité – non seulement celle du geste lui-même mais aussi celle du résultat sonore qu’il produit grâce aux balles augmentées de capteurs –, s’insère dans un ensemble de six musiciens, ceux de L’Instant Donné habitués à jouer sans chef, est alors apparu comme une étape naturelle de ce compagnonnage depuis longtemps engagé avec la créativité et la curiosité d’esprit de Jérôme Thomas.
Les données fournies par les capteurs de mouvements embarqués dans les différentes balles, et dans d’autres objets manipulés par le jongleur, sont le préalable à l’écriture d’une partition.
Selon les possibilités de reconnaissance des gestes, de contrôle des divers paramètres et de « sonification » des mouvements – qui ont fait précisément l’objet de la phase de recherche en ateliers à l’Ircam –, des matériaux sonores viennent structurer « l’orchestration » d’un espace électroacoustique joué par le jongleur à travers des haut-parleurs placés sur scène, et formant une scénographie de l’écoute et du regard où le corps est à l’avant-garde.
Par ailleurs, l’écriture pour les six musiciens de l’ensemble, qui ne fait, elle, intervenir aucun support technologique, dessine un espace acoustique propre. De fait, les rapports entre ces deux espaces apparaissent comme l’élément constitutif de la dramaturgie de la pièce. On « voit », certes, les outils du jongleur, leur manipulation et la gestuelle qui les anime, mais l’espace du concert leur confère une sorte de « devenir instrumental ». Dès lors leur statut est moins celui d’une traduction, d’une illustration ou d’un parallélisme virtuose entre le son et le geste, que celui d’une circulation d’énergie du geste vers le son, comme si naissait sous nos yeux, mais pour nos oreilles, un langage du corps tendu vers l’expression de la forme musicale où il est pris. En d’autres termes, ce n’est pas le jongleur qui « déclenche » par son action l’espace sonore (fragments de textes, sons électroniques ou instrumentaux), mais bien le mouvement des balles ou des objets qui composent conjointement l’espace sonore dans l’espace visuel.
Henry Fourès
29 octobre 2015 00:07:10
16 décembre 2021 00:04:58
10 janvier 2022 00:08:33
10 janvier 2022 00:13:38
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