Le marimba est un instrument imposant. Cette simple caractéristique, qui participe de l’identité de l’instrument, représente en elle-même un défi, tout simplement parce que cette majesté exige du marimbiste de rester à distance. Face au percussionniste, le marimba se dresse comme un ensemble, ou du moins un élément, architectural. L’interprète doit donc développer un rapport singulier et inhabituel avec son instrument, ainsi qu’une autre typologie du geste instrumental. Si l’architecture m’a toujours fasciné et joue un grand rôle dans mon imaginaire créatif, il se trouve que ma volonté d’évoquer et d’exploiter cette dimension architecturale du marimba s’est trouvée confrontée aux événements tragiques de l’année 2015, ainsi qu’à la disparition de Pierre Boulez (lui-même grand passionné d’architecture) en janvier 2016. De ces coïncidences malheureuses est apparue l’idée de stèles commémoratives. Au Japon, la tradition veut que l’on dresse aux victimes des tsunamis des stèles, monuments hybrides entre nature et architecture, entre échelle humaine et échelle urbaine – exactement comme le marimba. Ainsi de 61 stèles, comme autant de lames du marimba cinq octaves (de pierre, de bois, de silence, de souffle...) : cette parenthèse du titre évoque les différentes sources d’inspiration timbrales que décline chacune des quatre sections de la partition, tant par les modes de jeu instrumentaux que par l’écriture électronique (notamment grâce à la synthèse par modèle physique). Ce sont des « matériaux », au sens de « matériau de construction » architecturaux (ainsi certains échantillons de marimba, auxquels on a appliqué une réverbération infinie, donnent-ils naissance à des paysages harmoniques sous lesquels se déploient les graves de l’instrument joué sur scène). Le concept de stèle – sa fixité, sa géométrie, sa multiplication plus ou moins régulière – sert également de guide à l’organisation de ces matériaux, et les propriétés numériques et géométriques du nombre 61 (bicarré, somme de 52 et de 62) ont été utilisées pour bâtir la structure formelle de la pièce.
Laurent Durupt et Jérémie Szpirglas.
Note de programme du concert du 29 juin 2016.