Deutschland (1989)

pour mezzo-soprano et douze instruments

par François Nicolas (1947)

informations générales

date de composition
1989
durée
17min
éditeur
Inédit
Auteur ou contenu du livret

G.M. Hopkins

genre

Musique vocale et instrument(s) (1 voix soliste et ensemble de 10 Ă  25 instruments)

informations sur la création

date
30 mai 1989

France, Paris, Auditorium des Halles

interprètes

l'ItinĂ©raire, direction : Pascal RophĂ©.

Note de programme

Cette Ĺ“uvre, créée en 1989, fut composĂ©e alors que mon père Ă©tait mourant. Elle met en musique le vaste poème de Gerard Manley Hopkins The wreck of the Deutschland — « Le naufrage du Deutschland Â» — (1875-1876) dans lequel l'auteur Ă©voque la disparition de femmes dont il Ă©tait proche.

Deux questions ont orientĂ© l'Ă©criture vocale de cette partition :

— Comment ne pas faire de la voix (humaine) une voix (musicale) parmi d'autres ? Soit : que faire de la voix quand voix semble ne plus dĂ©signer une catĂ©gorie pertinente pour penser le multiple musical ? Comment donc Ă©crire pour la voix quand on ne veut pas s'installer dans un dispositif de pensĂ©e polyphonique, a fortiori contrapuntique ? Le parti pris adoptĂ© fut de traiter la voix comme unique voix, de la concevoir en altĂ©ritĂ© Ă  la trame orchestrale qu'elle traversait, sans l'Ă©pouser. Ceci passait par un traitement instrumental qui privilĂ©gie tantĂ´t le fragmentĂ© des gestes, tantĂ´t la continuitĂ© des masses enchevĂŞtrĂ©es plutĂ´t que le tressage de linĂ©aritĂ©s homogènes.

— Quel parti musical tirer de l'hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© sonore qu'un texte littĂ©raire procure lorsqu'il est prononcĂ© ? Est-il possible de dĂ©passer l'alternative traditionnelle qui se propose — peu ou prou — de rĂ©duire cette Ă©trangetĂ©, de « musicaliser Â» le texte littĂ©raire soit en le vocalisant (c'est-Ă -dire en le dĂ©pouillant de l'impact de ses consonnes, et donc de ses « bruits Â»), soit, a contrario, en amplifiant le trait percussif des consonnes par diverses pratiques instrumentales pour mieux l'incorporer ainsi Ă  quelque hiĂ©rarchie musicale ?

Mon objectif ayant Ă©tĂ© de conserver toute sa force au poème, sans le dĂ©membrer ou le distendre, de laisser pleinement jouer le sprung rhythm, ce « rythme abrupt Â» si particulier qu'a imaginĂ© Hopkins, l'orientation retenue fut de laisser se dĂ©ployer les scansions et pulsations de la langue en sorte que le rythme vocal, fondĂ© sur la rĂ©itĂ©ration toujours variĂ©e d'un impact consonantique et d'une coloration vocalique, apparaisse comme partie constitutive de l'Ĺ“uvre. L'idĂ©e compositionnelle revint alors Ă  enchaĂ®ner l'Ĺ“uvre au rythme musical qui, seul, par sa puissance d'intĂ©gration, peut mettre en rapport des entitĂ©s hĂ©tĂ©rogènes sans les altĂ©rer. Par l'insistance qu'il dispose, le rythme en effet ouvre la voie d'une consistance sans cesse recomposĂ©e.

Plus techniquement, le matĂ©riau harmonique et rythmique de cette Ĺ“uvre croise deux niveaux d'organisation :

— Ă€ un niveau Ă©lĂ©mentaire, le traitement minutieux des hauteurs rĂ©sulte de l'assemblage variĂ© de deux « accords Â» (Ă  4 composantes) tandis que le rythme est constamment nourri d'une succession de proportions (2-3-4-3-5-5-4-6) directement hĂ©ritĂ©e de la versification du poème.

— Ă€ une Ă©chelle supĂ©rieure, l'harmonie est basĂ©e sur de larges accords « arc-en-ciel Â» qui disposent l'Ă©ventail complet des intervalles chromatiques quand l'Ă©volution rythmique est fondĂ©e sur de vastes modulations mĂ©triques aptes Ă  composer pour l'oreille une situation globale Ă  la fois fermement orientĂ©e et perpĂ©tuellement instable.

L'organisation de l'Ĺ“uvre en vue de son audition a Ă©tĂ© guidĂ©e par une catĂ©gorie, empruntĂ©e Ă  Ossip Mandelstam, qui m'Ă©tait alors prĂ©cieuse : celle de traversĂ©e. « La qualitĂ© de la poĂ©sie se dĂ©finit par la rapiditĂ© et la vigueur avec lesquelles elle impose ses projets pĂ©remptoires Ă  la nature inerte, purement quantitative, du lexique. Il faut traverser Ă  la course toute la largeur d'un fleuve encombrĂ© de jonques mobiles en tous sens : ainsi se constitue le sens du discours poĂ©tique. Ce n'est pas un itinĂ©raire qu'on peut retracer en interrogeant les bateliers : ils ne vous diront ni comment ni pourquoi vous avez sautĂ© de jonque en jonque. Â» (Entretien sur Dante) ProlifĂ©ration des traversĂ©es : traversĂ©e d'une Ă©poque par le destin d'une vie, traversĂ©e d'une mer par le bateau qui y sombre, traversĂ©e de la musique par le flot du poème, traversĂ©e du multiple sonore par la dĂ©coupe d'un rythme, traversĂ©e d'un fleuve instrumental par le stylet d'une voix, traversĂ©e d'une oeuvre musicale par l'acuitĂ© d'une Ă©coute, traversĂ©e des perceptions par la singularitĂ© d'une oreille…

Par-delĂ  ces indications, si l'Ĺ“uvre est bien une proposition offerte Ă  l'auditeur, Deutschland suggĂ©rerait un temps singulier de l'Ă©coute, non point de celle qui se construit par totalisation (polyphonique des textures articulĂ©es) mais plutĂ´t de celle qui se fraie un parcours, un destin, en incessants travers des diversitĂ©s rencontrĂ©es :

« C'est cela qu'on appelle destin : ĂŞtre en face, et rien d'autre, toujours en face. Â» (R.M. Rilke)

Destin d'un père, d'un pays, de quiconque…



François Nicolas.

œuvres similaires


Cette fiche œuvre a valeur encyclopédique, elle ne reflète pas les collections de la médiathèque de l'Ircam. Veuillez vous référer aux fiches "partitions".


Vous constatez une erreur ?

IRCAM

1, place Igor-Stravinsky
75004 Paris
+33 1 44 78 48 43

heures d'ouverture

Du lundi au vendredi de 9h30 Ă  19h
Fermé le samedi et le dimanche

accès en transports

Hôtel de Ville, Rambuteau, Châtelet, Les Halles

Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique

Copyright © 2022 Ircam. All rights reserved.