Du cristal est la première partie d'un diptyque orchestral et la première œuvre de Kaija Saariaho pour un grand orchestre symphonique. Les deux volets du diptyque, Du cristal et ...à la fumée, peuvent être joués ensemble ou séparément. Du cristal ne contient pas de solistes, tandis que dans ...à la fumée deux instruments solistes électroniquement transformés, alto et violoncelle, se joignent à l'orchestre.
« Pour moi, Du cristal ...à la fumée est une seule et même œuvre, ses deux visages, chacun parfaitement achevé, vivant et indépendant. » Un diptyque dont les deux volets sont faits de la même matière première, mais restent indépendants, distincts et différents. C'est bien cette même matière qui se multiplie et se développe en différentes directions.
Les deux œuvres diffèrent déjà par leur titre : le cristal est un exemple classique de l'ordre répétitif, de la symétrie, de la masse compacte, permanente. La fumée en revanche est un état en constante métamorphose, capricieux, évolutif. Le cristal est à la fumée ce que l'ordre est à l'entropie, au chaos. Le titre est emprunté au livre d'Henri Atlan Entre le cristal et la fumée.
Un pont relie les deux volets du diptyque. A l'une des extrémités, à la fin de Du cristal, le violoncelle solo de l'orchestre reste longtemps à jouer un trille sul ponticello. A l'autre extrémité, le message est repris par le violoncelliste solo de ...à la fumée, qui commence la composition avec le même geste. Le pont est comme un miroir dans lequel se reflètent les deux visages de l'oeuvre. Non de façon symétrique, mais comme deux mondes différents dont l'un se trouve devant le miroir, et l'autre derrière. Ces deux mondes ne relèvent pas du même ordre et n'obéissent pas à la même logique.
Il est tout à fait éclairant de comparer les oeuvres de Kaija Saariaho aux phénomènes naturels, aux modèles biologiques et physiques. Le compositeur a lui-même parlé d'aurores boréales, de nénuphars, de cristaux, de spirales : formes et matériaux, beaux et parfaits en soi et qui créent des sensations esthétiques, tout en offrant d'infinies possibilités sur le plan scientifique. Comment se construisent, se transforment, se multiplient les rapports internes des organismes, comment les formes en apparence simples et naturelles offrent une extrême diversité lorsqu'on les observe de près. Comment le désordre et l'ordre peuvent être plus proches l'un de l'autre qu'on ne l'imagine à première vue.
Les tensions de la musique de Kaija Saariaho, sa dramaturgie, se construisent sur des oppositions. Son et bruit constituent une de ces oppositions essentielles. Par exemple, le violoncelle : lorsqu'on déplace l'archet vers le chevalet en augmentant la pression et en ralentissant le mouvement, le son se brise et se transforme en bruit. De même, lorsqu'on souffle dans le tube de la flûte, on obtient un bruit — caractérisé par une couleur propre — qui se transforme en son au moment où le jet d'air rencontre, sous l'angle correct, l'embouchure de l'instrument.Dans le domaine du rythme, une opposition simple est créée entre la répétition d'une même figure rythmique et la progression d'un rythme irrégulier. Les altérations graduelles entre les contraires, les interpolations, créent et libèrent des tensions à l'instar des figures harmoniques de la musique tonale traditionnelle.
Dans Du cristal, l'orchestre constitue un moyen de contrôler et de modeler la masse sonore qui progresse dans le temps. Habituée à définir minutieusement, à l'aide d'un ordinateur, le mouvement et la fonction de chaque élément d'un espace musical, Kaija Saariaho a su fabriquer à partir de la sonorité orchestrale un riche tissu varié qui, ici et là, atteint une force monumentale.[...]