D'une durée approximative de quinze minutes, cette oeuvre requiert une formation remarquable en ce qu'elle présente, en quinze instruments (le même nombre que pour la Symphonie de chambre d'Arnold Schoenberg), une sorte de résumé très complet des différentes couleurs d'un orchestre complet.
Elle fait appel à cinq bois, quatre cuivres, cinq cordes solistes et une harpe. Cet effectif se démarque à la fois des formations aux superpositions instrumentales inattendues (citons par exemple Eonta pour piano et cinq cuivres de 1964 ou A Colone pour chœur d'hommes, trois cors, trois trombones, trois violoncelles et trois contrebasses de 1977) ou de celles qui s'attachent au contraire à l'homogénéité des timbres employés auxquels recourt volontiers le compositeur (telles Syrmos pour dix-huit cordes de 1959, Persephassa pour six percussionnistes de 1969 ou Akrata pour seize instruments à vent de 1965). On notera également, pour cet « orchestre symphonique en miniature » (auquel ne manque même pas la traditionnelle harpe), l'absence de la percussion, que l'on trouvait dans une œuvre par ailleurs très proche de celle-ci, y compris dans sa répartition instrumentale, Thalleïn, composée en 1984 pour le London Sinfonietta.
Il est cependant bien entendu qu'on ne trouvera à aucun endroit de la partition de Jalons un traitement orchestral « classique », le langage et le travail instrumental étant purement ceux de Xenakis. Ainsi, comme c'est le plus souvent le cas dans sa musique, les cordes se voient proscrire tout recours au vibrato.
L'œuvre s'articule autour de six tempi dont la succession ordonne (jalonne ?) l'évolution du discours musical. Ce « marquage » permet ainsi de distinguer six sections, enchaînées sans transition.
La première est fondée sur la formation et la disparition, tranchée ou progressive, de blocs sonores, reliés par des « ponts » instrumentaux, puis par la superposition de stridences aiguës des bois et de glissandi s'installant peu à peu aux cordes. Au moment où ces glissandi se muent en oscillations microtonales, débute la courte deuxième section, où l'opposition des groupes instrumentaux se résout soudain sur un trémolo fortissimo de l'ensemble.
La troisième est, en quelque sorte, de forme ternaire, deux parties très denses, hésitant entre synchronisation et décalages rythmiques, en encadrant une troisième, plus polyphonique, où des lignes aux arêtes vives se poursuivent et se réunissent tour à tour.
La quatrième est marquée par l'utilisation de sonorités « éclatées », « fendues », aux instruments graves sur lesquelles on retrouve de rudes frottements des instruments aigus.
La cinquième commence comme un véritable nuage de mouvements individuels, s'organisant progressivement, pour aboutir à un retour des oppositions de blocs instrumentaux déjà entendus.
La sixième et dernière, qui retrouve le tempo initial, débute sur une sorte de mélodie de timbres s'élaborant fortissimo en passant aux divers instruments graves, le reste de l'effectif entrant rapidement en jeu pour participer à l'écriture « en blocs » proche de celle que l'on trouvait au début de la pièce.
Jacques-Marie Lonchampt.