Les Litanies du Feu et de la Mer devaient former un triptyque pour le piano, dont seules deux pièces ont été composées – la première en 1969, la seconde en 1971.
Les deux Litanies ont en commun « un univers harmonique très exclusif » fondé sur cinq notes : si bémol, ré, mi, sol, la, dont les transpositions sont structurées de manière à exclure totalement le do et le fa, créant ainsi un « espace de l’absence » très caractéristique.
Et cet univers est devenu indissociable, pour le compositeur, de la « réalité non moins exclusive » du piano – « comme si le monde harmonique ne pouvait devenir audible que par le piano, et que celui-ci refusait de révéler pleinement sa corporéité sonore en dehors d’un tel monde ».
La seconde Litanie procède par blocs, par points ou par lignes, dont la réalisation de détail est parfois laissée à la discrétion de l’interprète. Mais cette réalisation doit se plier à une typologie d’actions fortement caractérisées, dont la durée est mesurée en secondes selon des proportions strictes.
D’un bloc à l’autre, si la plupart des composantes sont souvent identiques, elles sont soumises à des octaviations fortement contrastées : la dispersion changeante des mêmes notes dans les registres du piano donne lieu à un travail sur la couleur de l’accord et ses différents dégradés, que viennent également ombrer les variations des dynamiques et les résonances créées par la troisième pédale du piano. Et ces blocs sont parfois rejoints par des développements mélodiques pointillistes ou au contraire très dessinés.
C’est cet enchevêtrement de la répétition et de la différence que dit le titre. Ses deux éléments antinomiques – le Feu et la Mer – ont ceci de commun qu’ils incarnent les mystères de la permanence et du changement, de l’Un et du Multiple. Et ce sont aussi deux figures immémoriales du Temps : le temps qui nous entoure et le temps qui nous consume.
Peter Szendy, programme du Festival d'automne à Paris, cycle Emmanuel Nunes.