Reflet de la personnalité multiple de Kagel, Morceau de concours a fait l'objet de pas moins de trois versions depuis 1968. À l'origine pour un instrumentiste jouant différents instruments de la famille des trompettes, puis pour une trompette et bande sonore (1972), sa dernière version pour deux trompettes réduit les moyens d'exécution à leur plus simple expression. Du moins en apparence ; car la richesse de l'instrumentation originelle, qui s'est sans doute heurtée à un problème de réalisation, s'est trouvée compensée par l'utilisation d'une palette expressive beaucoup plus large. Si, dans la toute première version, la virtuosité s'exprimait avant tout dans le maniement des cinq instruments par un seul exécutant, elle tient davantage ici de la prouesse digitale et de la variété dans la production du son et des techniques d'attaque. La mise en valeur du premier trompettiste, aussi bien musicale que visuelle — le second, indique la partition, ne doit pas être vu des spectateurs — renforce l'image tout à la fois absurde et désespérée du candidat seul devant le jury, incarné par le public le soir du concert.
Pour Kagel, écrire pour un instrument ou s'emparer d'un genre, c'est en repenser à chaque fois l'histoire par le filtre de la dérision. L'emploi des différents instruments (version de 1968) et les références à plus d'un cliché « trompettistique » (espagnolade, jazz, fanfare, lever de drapeau, allusions au Stravinsky de Pétrouchka et d'Agon), mêlés à des techniques de jeu contemporaines, relèvent d'une attitude quasi encyclopédique. Ces aspects de la tradition chère à Kagel sont comme décontextualisés dans ce « digest » musical où l'on oublie finalement l'instrument pour ne plus s'attacher qu'aux situations qu'il évoque (entrée du taureau dans l'arène, boîte de jazz enfumée, lever de drapeau, situation de concours), théâtralisées autant dans la musique que sur la scène.