Skiaï, du grec signifiant « ombres », a été écrit en 1998. La première version de la pièce comportait cinq lignes autonomes, aux mesures, nuances, modes de jeu et variations de timbres individuels. Pour des raisons pratiques de mise en place, les mesures sont devenues communes à tous les instruments ; mais le principe de base est resté le même.
Il s'agit d'une pièce singulière, dans la mesure où – hormis l'explosion suivant la deuxième cadence – elle est presque tout le temps au seuil de l'audible, comme si les sons fusionnaient, devenaient inidendifiables, visant à l'indifférenciation des timbres. Toutes mes pièces depuis sont basées sur la virtuosité instrumentale, digitale, sur l'énergie du geste.
De plus, l'autre singularité est que la structure de la pièce, de même que la structure interne, ne sont pas le fruit de savants calculs ou de pré-structuration systématique : bien au contraire, la pièce a été abordée sans aucune préparation, sans pré-organisation : le discours musical s'est déployé au fil de la composition.
Cependant, plusieurs données ont conduit l'acte compositionel : l'unité de l'harmonie (toujours très diatonique – un accord omni-intervallaire doublé d'une septième mineure – et dont la consonance est brouillée par les quarts de tons), la linéarité de la musique et son interruption par des séquences cadentielles, nettement plus cursives. A posteriori, je me suis rendu compte que Skiaï était ma première tentative (bien qu'inconsciente) de donner l'illusion d'un piano jouant en quarts de tons. La fusion des timbres et de la résonance, ainsi que l'environnement microintervallaire sont tels, que l'illusion d'un piano détempéré apparaît.
Cette musique doit sembler irréelle et extatique, de par sa lenteur extrême et son déploiement quasi immobile, le temps doit paraître dilaté : l'individualité de chaque instrument y concourt, annihilant tout repère temporel.