Comme l'a très justement noté le pianiste Roland Keller, on pourrait voir dans Wiegenmusik une élaboration du dernier accord des Papillons de Schumann : un arpège de septième de dominante sur la, dont chaque composante se voit attribuer une durée d'extinction spécifique, selon un échelonnement différencié du moment où le pianiste relâche la touche correspondante.
Dans la Berceuse (Wiegenlied) de Helmut Lachenmann, l'extinction et la résonance, ces phénomènes secondaires qui accompagnent la disparition du son, sont volontiers projetés en pleine lumière, amenés au grand jour. Wiegenlied atteint à un équilibre, à une sorte de pesée (Wiegen) des sons réels les plus divers – blocs, points, lignes, traits-fusées ou glissandi — et de leurs ombres. Dans les champs de résonance délimités par la pédale et bien souvent prolongés par la reprise muette de touches déjà enfoncées, il se crée en effet de véritables mélodies virtuelles, comme inscrites en creux dans la partition : elles ne sont pas le résultat direct du geste positif du pianiste – la pression sur la touche –, mais elles naissent de son action négative – le retrait du doigt.
En explorant ces terres arides du son, parfois à la limite du seuil d'audibilité, Lachenmann n'en recherche pourtant pas l'« exotisme » : ce travail du négatif n'est au contraire que le moment de l'antithèse au sein d'une pensée créatrice qui aspire parfois avec désespoir à se frayer, parmi les topoi de la musique instrumentale, un espace « vierge », « intact ».