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Composé par Philippe Leroux , concert du 2 juillet 2016
J’étais dans un train. Je devais avoir dix-sept ans. Je n’avais pas dormi de la nuit et j’étais épuisé. Je me souviens m’être assoupi avec devant les yeux un vol de corbeaux dans le ciel. Quand je me suis réveillé, quelques minutes ou quelques heures plus tard, j’étais à la même place, dans le même train, mais celui-ci roulait en sens inverse et, coïncidence extraordinaire, mes yeux sitôt ouverts tombèrent sur un semblable vol de corbeaux, exactement au même endroit dans le ciel que celui d’avant mon assoupissement. Comme si les deux n’étaient qu’un, ininterrompu en dépit de l’écoulement du temps et du changement de direction du train. L’ensommeillement avait été comme une brèche, une percée dans l’épaisseur du discours, qui laisse entrevoir une autre réalité. »
Ce souvenir fondateur est à l’origine, pour Philippe Leroux, d’un large pan de recherche à la fois formelle et harmonique déjà à l’œuvre dans De l’épaisseur (1998), pour accordéon, violon et violoncelle. Philippe Leroux était en train de composer Plus loin pour orchestre, lorsque, apprenant le décès de Gérard Grisey, il écrivit trois coups de trompette, puis laissa là l’œuvre inachevée pendant de longs mois. C’est au cours de cette brèche ouverte dans l’épaisseur du temps que De l’épaisseur vit le jour.
Troisième et dernier volet d’un triptyque à venir d’ici 2018, qui comprendra Prélude à l’épais et L’épais, Postlude à l’épais travaille donc, comme son titre l’indique, le concept « d’épaisseur » : épaisseur temporelle (ou horizontale), et épaisseur verticale (harmonique, timbre, densité).
La pièce s’ouvre sur une configuration sonore – à mi-chemin entre l’accord et l’objet sonore – hérité de L’épais qui, progressivement, s’étire et se distend comme pour révéler les interstices qui en séparent les différentes composantes. À mesure que ces anfractuosités de silence s’agrandissent, devenant de véritables brèches ouvertes dans la paroi sonore, naît un autre type d’activité musicale qui occupe peu à peu l’espace laissé libre. C’est sur ce tissu musical autre, étranger au premier, que Philippe Leroux travaille l’épaisseur dans sa verticalité : c’est-à-dire la densité des composantes, le nombre et la densité des formants et les différentes couches d’organisations harmoniques. Une partie non négligeable de cette réflexion repose sur l’élargissement du concept d’accord timbre cher à la musique spectrale : par l’agencement des hauteurs, Philippe Leroux aspire à générer non plus simplement « du » timbre, mais « des » timbres, en jouant sur les zones de densité du spectre sonore, et afin d’imaginer une polyphonie qui se nouerait entre les timbres ainsi générés.
JS
10 janvier 2022 00:07:30
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6 juillet 2016 00:01:56
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