Comment ne pas entendre le thérémine comme la manifestation d’une voix surnaturelle ? Le timbre de cet instrument, inventé en 1920 par Léon Thérémine et dont on joue sans le toucher, semble en effet s’abstraire de la réalité. Tirant parti de ce stéréotype, Régis Campo assimile le soliste de Dancefloor With Pulsing à un vaisseau spatial en visite sur la Terre-orchestre. Mais il ne le limite pas à des sons éthérés (il sollicite également le registre grave), ni aux glissandos envoûtants, caractéristiques de cet instrument. Car le vaisseau renferme une piste de danse aussi large que son ambitus et participe au déploiement d’une énergie hypervitaminée, constante de la première à la dernière page. Fortement pulsée, la musique de ce concerto en une seule coulée se déhanche sur l’asymétrie d’une mesure essentiellement à onze temps : elle combine ainsi la régularité périodique (la durée de la mesure) avec l’instabilité provoquée par le nombre impair de temps.
Ici, le thérémine ressemble moins à une voix humaine qu’aux machines des musiques électroniques : « très dur et sale (son de musique techno) », lit-on d’ailleurs sur l’entrée du soliste, ce qui n’étonnera pas de la part d’un compositeur admirateur de Björk et de Daft Punk. En dépit de leur antagonisme acoustique, les instruments de l’orchestre et le thérémine trouvent un terrain d’entente. À la fin du concerto, les violons jouent en glissando (le « langage » du soliste), tandis que le thérémine participe aux martèlements d’un quasi-tutti. L’orchestre s’envole-t-il vers d’autres galaxies ? Ou le vaisseau atterrit-il pour ne plus repartir ? Libre à chacun d’imaginer la fin de l’histoire.
Hélène Cao, note de programme du concert du festival Présences de Radio France du 10 février 2024 à l'Auditorium de Radio France.