To unfold : déplier, déployer, décroiser, dévoiler.
Dans la peinture de Vassily Kandinsky, comme par exemple dans sa toile Gelb, Rot, Blau, des figures, de formes et de couleurs différentes, se superposent les unes aux autres : ce faisant, elles demeurent identiques à elles-mêmes d’une part, et se transforment de l’autre. Ainsi se pose la question du seuil : dans quelle mesure une « figure » peut-elle muter tout en restant reconnaissable en tant qu’elle-même ?
La question de l’harmonie se pose alors en termes de syntaxe plutôt que de catégorisation ; c’est-à-dire qu’un objet en appelle naturellement un autre, et ainsi de suite, pour soutenir un discours s’inscrivant dans le temps. Unfolding, c’est donc le déploiement du discours, à mesure qu’il avance – par opposition à un processus : un processus se déroule, procédé stylisé qui se surimpose au discours. Sachant qu’un objet singulier peut tout aussi bien surgir soudainement dans un contexte harmonique qui ne l’appelle pas – ou pas en tant que tel – pour créer la surprise. Au cinéma, le cinéaste peut très bien montrer à son spectateur un couteau, tout en laissant planer le doute sur son utilisation : ce couteau va-t-il servir à tuer ou à couper du pain ? On balance ainsi inlassablement de la curiosité à l’étonnement : l’écoute est engloutie par cette spirale. Si la musique nous transporte et nous guide, elle peut aussi bien dérober le sol sous nos pieds. S’instaure un jeu constant de décontextualisation et de recontextualisation des éléments structurels qui, d’un contexte à l’autre, changent de sens tout en restant reconnaissables en tant que tels ou, au contraire, se fondent dans la masse pour garder leur signification originelle. C’est pourquoi je cherche comme vocabulaire des éléments au grand potentiel polysémique : non réductibles à un simple aspect car déjà complexes, lieu d’interaction de plusieurs phénomènes sonores, des éléments « racines ». Unfolding, c’est finalement le mouvement de ces lieux qui s’auto-digèrent constamment : allant toujours de l’avant, ils disparaissent dans leur mouvement même. À moi de tester les limites de ces éléments, de les manipuler et de les transformer pour les mettre au service de la syntaxe – et là intervient un vaste travail de formalisation, c’est-à-dire de modélisation d’un phénomène musical. Le modèle, dans son abstraction, se révèle ainsi un outil très puissant pour explorer des territoires auxquels l’approche empirique ne nous donnerait pas accès. Et, contrairement à ce que le terme pourrait suggérer, la formalisation n’est en rien une systématisation d’une pensée : elle peut justement être une échappatoire à tout système préétabli. Comme dans la peinture de Kandinsky, les éléments racines permettent de travailler sur la question de la perception et du seuil : jusqu’à quel point peut-on voir disparaître le matériau sans en perdre la fonction « grammaticale » ? Unfolding, à la manière d’un discours en cours d’élocution, jette sur la musique une lumière différente à chaque instant, tout en préservant sa cohérence. Le matériau se dévoile pour se revoiler aussitôt. L’électronique est donc comme un cinquième instrument, généré principalement d’après le modèle d’un instrument à cordes – mais en brouillant les pistes : je peux ainsi faire suivre un pizzicato qui semble être joué par un violon d’une résonance inattendue, qui n’a rien à voir avec celle d’un pizzicato de violon… Unfolding, enfin, c’est le décroisement du discours, le dépliement du quatuor… »
Francesca Verunelli, propos recueillis par Jérémie Szpirglas.