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Composed by Stefano Gervasoni , concert on June 18, 2022
Comme son titre l’indique (en espagnol), De Tinieblas est un Office des Ténèbres – en partie du moins, puisque seule est traitée la matinée du Samedi saint, durant laquelle est évoquée la mort du Christ, célébrant la fin des lumières anciennes en même temps que l’arrivée des nouvelles. À l’instar de ses illustres prédécesseurs, Stefano Gervasoni privilégie ici la sobriété de l’écriture chorale, préférant une architecture polyphonique ambitieuse aux finesses du jeu vocal, dont les subtilités se perdent souvent dans la masse, sans parler des traitements électroniques. Des chœurs virtuels viennent de surcroît bien souvent étoffer le contrepoint qui anime le double chœur, dont ils peuvent à l’envi troubler la symétrie.
Si De Tinieblas rend un hommage manifeste à l’histoire du genre, la pièce ne reprend toutefois pas le texte liturgique, lui préférant celui que le grand poète espagnol José Angel Valente a tiré des Lamentations de Jérémie. La structure, néanmoins, est inchangée : à chaque mouvement correspond une lettre de l’alphabet hébreu – laquelle est chantée, comme dans les Offices de la Renaissance et du Baroque, de même que «O Jérusalem», interjection liturgique emblématique des Lamentations, qui referme la première et la dernière partie de la pièce.
L’énoncé de ces quatorze lettres de l’alphabet hébreu jalonne le discours: quatorze lettres qui sont reprises et retravaillées par l’électronique, de plus en plus retraitées et transformées en matière sonore pure, perdant au passage leur intelligibilité. Elles semblent alors se fondre dans ce qui ressemble à un bourdon sonore, omniprésent d’un bout à l’autre de la pièce.
Parfois invisible, parfois un peu plus appuyé, parfois de l’ordre de la gêne sonore, ce bourdon est pour le compositeur comme une «méduse qui plane dans l’espace ».
D’abord essentiellement de synthèse et cantonné à l’aigu, il suit une trajectoire générale vers le grave à mesure qu’il s’enrichit des lettres chantées qui défilent. Dès « Bet», il arrive à la tessiture du chœur, auquel il se confronte. Puis il poursuit sa chute. Parvenu à «Nun », le bourdon flirte avec les infrabasses, jusqu’au «O Jérusalem» final, délibérément étiré à l’extrême : les vibrations se ressentent alors physiquement, le sol se met à vibrer – figurant de manière tangible le séisme qui a secoué la Terre au moment de la mort du Christ. «Ce bourdon, dit Gervasoni, c’est comme un écran qui parfois souligne, parfois voile la musique, une métaphore de la mort qui peut aussi bien donner un sens à la vie ou nous empêcher d’en profiter.» Les ténèbres et la mort sont donc ici comme une force d’attraction – dans la musique, comme dans la vidéo que
Paolo Pachini a réalisée pour l’accompagner: « Le noir, ditil, n’est pas ici qu’une simple métaphore : il domine une partie des images qui cheminent entre pénombre et obscurité.» Compositeur de formation, le vidéaste Paolo Pachini a travaillé à partir du texte de Valente et de la partition en cours d’écriture de Gervasoni. Diffusée sur un écran classique placé au-dessus du double chœur, la vidéo s’appuie sur l’architecture formelle de la partition. « J’établis des liens entre son et image, parfois mesure par mesure, avec des dialectiques à très court terme, sur lesquelles je veux mettre de l’emphase. Mais il m’arrive aussi de travailler l’oblique, en prenant en considération le continuum temporel de la musique.»
La vidéo déroule elle aussi quatorze épisodes, chacun ayant son matériau propre. On peut y retrouver la symbolique mystique liée à la lettre hébraïque correspondante, mais aussi des images apparemment photographiques, des images de synthèse ou des abstractions mêlant synthèse et photo – dans un métissage qui n’est pas sans rappeler le travail de l’électronique réalisé par Stefano Gervasoni et ses RIM, Thomas Goepfer et Benoit Meudic. « Prise de vue réelle et synthèse sont pour moi des canaux parallèles, comme deux manières de regarder un même phénomène, dit Paolo Pachini.» « Le défi était de mettre en musique et en image le noir des ténèbres, conclut Stefano Gervasoni, ce qui est, avouonsle, un peu paradoxal.»
Stefano Gervasoni, Paolo Pachini & Jérémie Szpirglas
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