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Au sortir des années folles, où l’opérette française s’est déjà revitalisée au contact des comédies musicales étatsuniennes (No, no, Nanette, 1925) et sous l’influence des danses et des rythmes américains (charleston, fox-trot, etc.), la chanson voit émerger des vocalistes qui prennent le contre-pied de ce qui faisait jusqu’ici la signature des chansons de caf’-conc’ et de music-hall aussi bien que des chansons d’opérette et de la “chanson réaliste” : une voix fortement projetée – soit que la projection vocale réponde aux impératifs de la scène, soit qu’elle soit indispensable pour rivaliser avec un orchestre, soit qu’elle incarne une forme de rudesse populaire ou de truculence faubourienne.
Avec l’essor de la radio et du disque, puis au milieu de la décennie avec l’usage de plus en plus fréquent du microphone, d’autres vedettes émergent, avec des types de voix plus confidentielles, plus légères, plus intimistes, plus fragiles, plus plates. Ces voix ne sont pas pour autant devenues froides ou inexpressives ; elles cherchent plutôt les outils de l’expressivité ailleurs, autrement, et imposent peu à peu une autre norme du chanté, qui ouvre la voie à une première “modernité” de la chanson française, dans laquelle on lit généralement l’influence, la marque ou l’empreinte du jazz et des États-Unis.
Si l’on peut repérer assez clairement des marqueurs objectifs d’américanisation (tournures mélodiques, types de syncopes et figures rythmiques, emprunts au blues, couleurs harmoniques…) dans cette “chanson moderne” lorgnant plus ou moins discrètement du côté du jazz, il y a sans doute beaucoup d’autres marqueurs qui contribuent à nimber la plupart du temps la voix d’une chanteuse ou d’un chanteur d’une aura d’”identité” française, comme la presse du temps le fait souvent, et comme l’historiographie – qui a patrimonialisé un Charles Trenet en “monument de la chanson française” – l’a installé dans nos imaginaires.
La nouvelle vocalité qui se fait jour au seuil des années 1930, incarnée notamment par une femme (Mireille) et un homme (Jean Sablon) ayant profondément marqué l’histoire de la chanson française, ne peut par conséquent s’observer uniquement par le prisme réduit des paramètres traditionnels de l’analyse musicale (analyse mélodique-harmonique-rythmique depuis une transcription), et encore moins depuis l’analyse d’une partition (les “petits formats” commerciaux n’étant qu’un reflet fort lointain de la chose performée en studio ou à la radio). Les mutations de la vocalité – et à terme du signifiant “identitaire” de celle-ci – demandent donc à être saisies sur un plan de complexité en quelque sorte crypté, auquel des outils numériques d’isolation et d’analyse de la voix peuvent permettre d’espérer accéder plus finement.
C’est ce travail de compréhension et de contribution à l’analyse musicale de la voix qui sera ici amorcé à partir d’un corpus de chansons françaises des années 1930 centré autour de ces deux figures de proue, l’une féminine l’autre masculine.
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