information

Type
Concerts
performance location
Ircam, Espace de projection (Paris)
duration
18 min
date
November 18, 2023

Le titre de la pièce Llum i matèria (Lumière et matière) fait référence à la double nature de la lumière, à la fois onde et particule. Point de départ de la composition, c’est aussi, par le plus grand des hasards, un titre de Kajia Saariaho, qui vient de nous quitter et à laquelle je dédie cette pièce. Son Light and Matter (2014) était d’ailleurs au programme d’un concert du festival Présences 2017 pour lequel, en tant que marraine, elle m’a fait l’honneur de choisir une de mes pièces.
Partant du double jeu de la lumière, d’autres sources d’inspirations sont venues nourrir Llum i matèria, à commencer par le travail, mêlant peinture et sérigraphie, de la plasticienne franco-danoise Eva Nielsen. Au moyen de la sérigraphie, Nielsen trompe l’œil via des effets qui subliment la nature et le bâti, tout en interrogeant le temps long à notre époque de l’instantané et du tout-image. Sa dernière série, Lucite (initiée en 2015 et toujours en cours), emprunte son titre au nom d’une allergie aux UV – et donc à la lumière. L’horizon de ses peintures est ostensiblement voilé, au point que le spectateur en est réduit à tenter d’apercevoir un éventuel sujet (généralement un élément d’architecture) à travers le treillage qui recouvre la surface de la toile.
« Ses odyssées suburbaines forment par sédimentation des spectrogéographies, écrit Virginie Huet dans Connaissance des Arts. Autrement dit, des perspectives furtives de non-lieux. Sa méthode vandale varie et si, à l’origine, la sérigraphie masquée par des bandes de ruban adhésif précédait la peinture, l’inverse est devenu vrai. Personnelle ou d’emprunt, l’image source imprimée à même la toile, sur des chutes d’organza ou de cuir, est maculée d’huile, d’acrylique, d’aquarelle ou d’encre de Chine. Si bien que le regard ne sait plus où se poser, fouillant la surface et le fond en quête d’indices, perdant sur tous les plans, faute de mise au point. »
À ces images fugitives, voilées et dévoilées, se sont surimprimées, telles un palimpseste, celles d’un été qui fut pour moi bouleversant, et marqué d’images également éphémères mais puissantes comme celles de l’océan.
Llum i matèria se compose de deux parties assez contrastées. La composition de la première, qui s’intéresse plus particulièrement à la lumière, a été guidée par sa nature spectrale. Tandis que la seconde, qui évoque l’absence de lumière, ou sa quête, s’appuie sur sa nature granulaire, l’électronique développant là des textures métaphoriques de phénomènes naturels et puissants (la mer, les nuages, le vent).
Se noue ainsi tout au long de la pièce un dialogue sur l’espace sonore, et entre les espaces sonores et la présence acoustique des instruments. Quant au discours musical lui-même, ponctué de citations de la Symphonie inachevée de Schubert, il suit une trajectoire qui va des sons les plus épurés aux plus denses (des points de vue à la fois temporel et spectral), explorant toutes les nuances intermédiaires. La fin de la pièce est inspirée du Psyché devant le château d’Amour d’Yves Bonnefoy, lui-même inspiré du tableau éponyme de Claude Gellée, dit Le Lorrain, peintre de la lumière s’il en est. Réimaginant musicalement le poème de Bonnefoy, je recrée à mon tour métaphoriquement le paysage au moyen de textures synthétiques.

Núria Giménez Comas, note de programme du concert des 50 ans de l’Itinéraire à l’Espace de projection de l’Ircam le 18 novembre 2023.


50 ans de L'Itinéraire - Concert #2 : Lumières

Les musiciens de L’Itinéraire et les chercheurs de l’Ircam partagent une idée forte depuis leur naissance respective : explorer le son, le cartographier, en maîtriser la connaissance et l’expression. L’impact de la musique spectrale tient à l’esprit aventureux des musiciens, à la vision de ses fondateurs mais aussi à la révolution parallèle de l’informatique musicale et de l’électronique. 50 ans après sa naissance, L’Itinéraire trouve sa vitalité actuelle dans un équilibre entre patrimoine et création, à l’image de ces deux soirées d’anniversaire. Cette deuxième soirée est placée dans la lumière enveloppante de Núria Giménez Comas, l’éclat spectaculaire de Natasha Barrett, les couleurs assombries pour Hugues Dufourt, l’inspiration turnérienne de Harvey. Elle emprunte aussi les inclinaisons et dénivellations, ces « larmes du son » chères à Michael Levinas.

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