Lorsqu’on considère pareil effectif (piano, ensemble et électronique), on pense d’emblée « concerto ». C’est pourtant un titre que Roque Rivas répugne à employer, en refusant les trop nombreuses connotations. Il lui préfère ici un terme emprunté aux arts plastiques, celui d’Assemblage : mettre ensemble des éléments qui, tout en gardant leur indépendance, créent par leur agencement et leur proximité une poétique – ici une poétique sonore. Un terme d’autant plus adapté que Roque Rivas est un grand adepte d’édition et de montage, notamment dans son travail de l’électronique : à partir de maquettes sonores et de diverses idées, il réorganise et développe à l’envi certains aspects du discours dont le potentiel le séduit. C’est du reste une tendance générale dans ses choix de titre : s’éloignant d’un poétisme – dont le sentiment parfois caricatural peut enfermer l’écoute –, il préfère porter sur eux un regard constructiviste.
S’il refuse le terme de « concerto », Roque Rivas n’en développe pas moins une vaste réflexion sur le dialogue concertant – une question qu’il considère dans sa globalité, explorant également ses ramifications quant à l’articulation entre l’ensemble et le soliste, ou l’équilibre structurel entre l’acoustique et l’électronique. Ce sont à cet égard ses lectures qui ont nourri sa pensée. En l’occurrence, des écrits scientifiques. Roque Rivas s’est aperçu de l’étrange proximité de certains concepts venus de la biologie (et notamment de biologie cellulaire) avec l’écriture musicale : certains phénomènes biologiques, par exemple ceux qui ont trait à l’interaction et la reproduction cellulaires, présentent en effet de nombreuses similitudes avec des processus de la musique mixte – du moins dans la manière dont Roque Rivas les pense.
Citons parmi d’autres le concept d’« ontogénie » (ou ontogenèse), qui décrit le développement progressif d’un organisme depuis sa conception jusqu’à sa forme mûre, voire jusqu’à sa mort, ainsi que tous les changements structurels qui interviennent en son sein, sans que l’organisme perde son organisation. Les implications de ce concept d’ontogénie dans le contexte de la musique mixte sont plus passionnantes encore lorsqu’on envisage le phénomène de « couplage structurel » : deux unités ou plus peuvent se coupler dans leurs ontogénies, lorsque leurs interactions possèdent un caractère récurrent ou suffisamment stable.
Autre concept directement lié à la musique mixte, celui d’autoreproduction : à partir d’une unité, on obtient une unité de la même classe – c’est-à-dire reconnaissable et définie par une même organisation. On distingue là deux processus fondamentaux de l’écriture musicale : la réplique (opération qui permet de générer répétitivement des unités de la même classe) et la copie (à partir d’une unité modèle, en générer une autre, identique à ellemême). « Dans la musique mixte, dit Roque Rivas, le dialogue entre instrumental et électronique joue constamment sur des distinctions comme celles-là : la copie, dans laquelle on va reproduire ou imiter par synthèse à peu près le même son – avec toutefois toujours un minuscule détail qui fera la différence —, ou la réplique, où l’on enregistre ce que fait l’instrumental pour le rediffuser après traitement. »
Roque Rivas retient encore l’idée d’autopoïesis : c’est-à-dire la capacité d’un système à se produire lui-même, en permanence et en interaction avec son environnement, et ainsi de maintenir sa structure malgré le changement de composants. Selon Roque Rivas, tous ces phénomènes se retrouvent, sous une forme ou une autre, dans l’écriture de la musique mixte. Assemblage se développe ainsi de manière organique autour du piano – qui en constitue une forme de colonne vertébrale qui peut déclencher des éléments, interagir avec eux, que ce soit une interaction conflictuelle ou au contraire fusionnelle. Au début, le piano est seul, accompagné seulement de quelques bruits. C’est un état primitif, basique. Puis le piano déploie peu à peu une ligne mélodico-harmonique, laquelle sera reprise par tous, puis connaîtra diverses transformations, divisions, confrontations, regroupements, etc. Jusqu’à une conclusion en forme de complète désintégration.
« La synthèse sonore m’intéresse beaucoup, dit Roque Rivas. J’ai recours surtout aux méthodes de synthèse traditionnelles : additive, modulation de fréquence, granulation… Mais un son de synthèse, en soi, n’a aucune valeur, s’il n’est pas restitué dans un contexte – un peu comme un instrument de l’orchestre. Ce qui m’intéresse, donc, c’est l’orchestration de la synthèse : je vais ainsi mêler dans un même accord divers types de synthèse, ou plusieurs couches d’une même synthèse, mais de caractéristiques différentes, pour donner une profondeur de champ à la partie électronique et colorer chaque note d’un timbre singulier, qui ne sera pas lié à un mode de synthèse particulier. Comme dans une orchestration, je fais évoluer les modes de synthèse au sein même de chaque couche. C’est l’interaction des différentes couches qui crée la couleur globale : comme une sorte de métasynthèse. Là encore, c’est un montage de sons de synthèse. Bref : un assemblage… »
Jérémie Szpirglas, programme de la création, ManiFeste 2012.