Embellie occupe une place un peu à part dans le catalogue de Xenakis : c’est la seule œuvre dans laquelle ce compositeur s’attache à l’alto solo. Composée en 1981, c’est aussi la dernière oeuvre soliste de Xenakis, et elle se distingue des autres par une atmosphère plus détendue. Si l’on y entend passagèrement l’âpreté du discours et des timbres à laquelle Xenakis nous a habitués, et si l’œuvre, indubitablement virtuose, témoigne de la puissance de sa vision, il ne faut pas s’attendre ici à la fureur démente et éruptive de Nomos Alpha ou de Kottos pour violoncelle seul, par exemple.
Nulle explosion du jeu instrumental, donc, mais plutôt une retenue, qui se traduit par des harmonies aux couleurs archaïques – par certains aspects, Embellie évoque les souvenirs d’une musique folklorique, à la manière des œuvres pour violon de Bartók –, une approche toute en douceur de la microtonalité, un traitement polyphonique de l’instrument – et l’on pense ici immanquablement au modèle de Bach – et une forme apparemment plus libre – ce qui lui sera d’ailleurs parfois reproché, même parmi ses fidèles interprètes, comme un « manque de cohérence ».
La pièce est effectivement très variée dans le ton, allant de la pénombre du bas de l’ambitus, aux exclamations abruptes, en passant par l’éthéré de l’aigu, sans oublier les nombreux glissendi qu’affectionne tant Xenakis, et les doubles cordes aux intervalles étrangement ouverts. L’altiste Garth Knox, qui a travaillé l’œuvre avec Xenakis, insiste sur la volonté du compositeur de n’y entendre « jamais, au grand jamais, de vibrato » et écrit : « le but est d’être le plus droit, le plus pur et le plus solide possible, comme du marbre sculpté – et pas de quartier ! »
Jérémie Szpirglas.