À l'origine de cette pièce, il y a une réflexion sur le rapport entre musique et langage. Il ne s'agit pas ici d'un rapport analogique. Ce qui m'intéresse dans le langage d'un point de vue « musical », ce n'est pas sa rhétorique mais sa forme, sa capacité à gérer la complexité avec un nombre réduit de symboles intelligibles. J'ai notamment été influencé par les théories de la linguistique générative ; je trouve beaucoup d'analogies entre le modèle de langage, comme structure arborescente avec plusieurs niveaux hiérarchiques, et l'idée de rythme que j'ai développée dans cette pièce. En effet, dans Erba nera che cresci segno nero tu vivi, la composante rythmique est prépondérante (en dépit de l'idée de « lyrisme » toujours associée à la voix seule), la superposition des mesures et vitesses différentes est proche de la saturation. C'est le principe de hiérarchie issue de la linguistique qui l'évite : tous les patterns partagent le même ancêtre, véritable squelette rythmique qui se développe de manière organique pendant toute la durée de la pièce en lui donnant prégnance et transparence, en orientant notre perception de la complexité. A la richesse du rythme s'oppose une extrême sobriété de tous les autres paramètres. Même le choix du texte reflète cette logique ; ce qui est chanté, c'est seulement le titre, sans relectures consécutives, dilaté jusqu'à faire coïncider sa propre forme avec la forme même du morceau. Ce fragment m'a frappé par sa simplicité obscure, premier essai en langue italienne de l'auteur, qui a grandi en France et en Angleterre (le recueil dont il est extrait, est intitulé justement Prime prose italiane) ; un couple de septenaires concis, inséré dans ce recueil de proses, scande une formule sobre et mystérieuse.La pièce présentée ce soir est extraite d'un projet musical utilisant la synthèse par modélisation physique à l'aide du logiciel développé à l'Ircam, Modalys. Dans sa forme définitive, sa durée sera de onze minutes environ.
Mauro Lanza, pogramme du concert Cursus Ircam 1999.