Inharmonique (1977) associe la voix – l'instrument le plus proche du corps – à des sons immatériels, calculés par ordinateur.
De cette relation présence-absence naît une théâtralité, une dramatisation du sonore. S'il n'y a pas de texte ni d'argument à proprement parlé, l'aventure sonore suggère un scénario métaphorique avec des notions d'émergence, de vie, de mort. Au début bruit, désordre, mouvements liquides : en émergent des sons purs, qui s'associent en accords et arabesques, puis en nappes inharmoniques de plus en plus chargées. L'entrée de la voix évoque un cri primal stylisé. La voix brode sur une note, puis l'ambitus s'étend, le mélisme est de plus en plus ouvert, alors que croît l'agitation expressive. Les sons inharmoniques de la bande envahissent de plus en plus la scène. De la voix, submergée ne subsistes qu'un souffle, alors que son souvenir se déploie dans l'espace.
Inharmonique exploite certaines possibilités qu'offre l'ordinateur d'appliquer le contrôle compostiionnel jusqu'au niveau du son, de composer le son lui-même. Dans la plus grande partie de la pièce, les sons de la bande sont formés de composantes de fréquence inharmonique (qui ne sont pas entre elles comme les nombres 1, 2, 3, 4, ... ), ce qui ne se rencontre qu'exceptionellement avec les sons intrumentaux et vocaux. Cette structure interne favorise entre les sons des relations différentes.
La pièce commence sur des bandes de bruit mouvantes dont émergent des sons purs. Ces sons s'associent en nappes de plus en plus chargées. La voix, qui apparaît d'abord en filigrane, finit par percer l'écran des sons artificiels : elle brode alors sur un la dont la bande déploie les harmoniques. L'ambitus s'accroît. La bande introduit des cloches imaginaires, composées comme des accords, qui se diffractent ensuite en textures fluides (par transformation du profil temporel des composantes inharmoniques, sans que soient modifiées leurs fréquences). L'intervention de la voix est de plus en plus raréfiée et dramatique – et la bande fait écho de loin à la voix (enregistrée et modifiée par ordinateur). Le souffle de la chanteuse se perd dans le reflux de nappes bruiteuses.
La bande a été synthétisée par ordinateur à l'Ircam, à l'aide du programme MUSIC V. Inharmonique est dédiée à Irène Jarsky, qui a suscité la pièce et enrichi de ses recherches la partie vocale. Inharmonique, enregistrée par Irène Jarsky, figure sur le disque compact INA C1003.
Jean-Claude Risset.