Cette pièce tire une partie de sa substance d'une œuvre antérieure nommée Giostra Genovese (Danses anciennes de différents maîtres, 1962) et fut imaginée bien avant la circonstance « officielle » : l'entrée de Zimmermann à l'Akademie der Künste en avril 1965.
Le titre renvoie à l'un des auteurs de prédilection du compositeur – Alfred Jarry – de même que la dimension des citations et autocitations musicales si l'on considère, comme Hans Zender, qu'Ubu annonçait le surréalisme et tout un courant du début des années vingt pour lequel la technique du montage était importante. Ce « ballet noir » (le négatif du ballet blanc qu'est Présence) est une « farce » que Zimmermann voyait à la fois « macabre et comique », dont les titres de parties donnent bien le ton, annoncés comme ils le sont (en principe) par un « conférencier » de passage à vélo sur la scène...
La grande diversité des instruments de l'orchestre – avec notamment des guitares, mandolines, un orgue, un « combo » de jazz – sert le grand choix historique des citations, relatives à des membres de l'Académie (Ahrens, Blacher, Fortner entre autres), des contemporains (Henze, Dallapiccola, Stockhausen...), des musiciens de la tradition occidentale (Bach, Beethoven, Berlioz, Wagner...), des danses de la Renaissance ou, de façon plus large, des « caractères » de Polka et de Jazz (qui ont souvent une fonction de contraste face aux danses anciennes).
L'Entrée de l'Académie commence par les « lettres musicales » du président (Hans Scharoun) énoncées par les cors sur le rythme d'un thème des Tableaux d'une exposition et se poursuit par celles des autres membres. Lui font suite Ubu Roi, Capitaine Bordure et ses partisans, Mère Ubu et ses gardes, Pile, Cotice et l'ours, Le Cheval à Phynances et les larbins de Phynances, Pavane de Pissembock et Pissedoux, Berceuse des petits financiers qui ne peuvent pas s'endormir, et finalement la Marche du décervelage, partie de l'œuvre « la plus impitoyable, amère et oppressante », selon Clemens Kühn, où l'accord initial du Klavierstück IX de Stockhausen, frappé 139 fois dans l'original, coexiste avec la Marche au supplice de la Symphonie Fantastique de Berlioz et la Chevauchée des Walkyries ! Réalisé avec une très grande maîtrise de l'écriture et de l'orchestration, cet hommage à Jarry ne fait que souligner – avec beaucoup d'humour – l' « incroyable quantité de matériaux culturels d'époques très différentes » avec laquelle Zimmermann vivait « en bonne intelligence ».
Pierre Michel, programme « Allemagne 1946 », février 1996, Cité de la Musique, Ensemble intercontemporain.