Psappha est la version archaïque du nom de Sappho, femme poète de l'antiquité (VIIe siècle), qui a inventé le principe abstrait de variation (métabole) sur des unités métriques (rythmiques) dites saphiques. Cette œuvre traite du rythme pur, c'est-à-dire que le timbre lui est totalement subordonné : il n'est là que pour apporter une plus grande clarté. Il n'y a pas de partie improvisée. Cette composition est un terrain extrêmement propice pour mettre en valeur le sens du rythme et surtout l'imagination timbrale d'un batteur seul. La partition prévoit l'emploi de trois groupes de timbres (peaux, bois, métaux) utilisant des instruments sans accordage déterminé. Le registre des hauteurs à l'intérieur de chaque groupe est pourtant réparti comme suit : aigu, médium, grave ou moyen, neutre très aigu (pour les métaux). Une pulsation constante et tenace se ressent même lorsqu'elle n'est plus audible. Sous sa simplicité trompeuse, la pièce cache une forte concentration d'énergie.
Iannis Xenakis
Lorsque Iannis Xenakis a écrit Psappha, il y a vingt ans, il a donné à l'interprète cette liberté extrêmement rare, celle du choix des instruments de percussion et donc des timbres. Cette liberté allait très vite se heurter au problème ergonomique de la percussion, compte tenu de la rapidité de déplacement imposée par le texte. Cette nécessaire virtuosité a donc contraint les percussionnistes à choisir des instruments plus ou moins classiques issus de la facture occidentale, évitant ainsi le délicat problème de l'assemblage physique des percussions extra-européennes. De ce fait le choix des instruments a été considérablement restreint, limitant la possibilité de l'interprète de personnaliser sa propre version. Voilà un peu plus de dix ans apparaissaient de nouveaux instruments électroniques conçus pour les batteurs appelés drum pads. Jouer Psappha avec des instruments que l'on pouvait disposer autour de soi, mais reliés à des échantillonneurs et synthétiseurs, offrait la possibilité de composer ses propres timbres. Malheureusement il a fallu attendre quelques années pour que ces fameux pads offrent la musicalité de ceux d'aujourd'hui. Grâce à cette dernière génération d'instruments, j'ai pu inventer des timbres qui ressemblent à de vraies percussions avec la même précision rythmique, réaliser des interpolations d'un son à un autre ou encore en colorer certains par de la synthèse. (...) J'ai ainsi profité de cet apport de l'électronique pour faire un voyage à travers les timbres tout au long de la pièce. Ils ne sont pas figés comme l'impose le jeu sur de vraies percussions mais au contraire évoluent rapidement ou lentement pour donner naissance à d'autres sons. Par la même occasion, il a été possible de réaliser le souhait de Iannis Xenakis disant que dans Psappha, les accents pouvaient, selon le choix du percussionniste, déclencher de nouveaux timbres. Afin de donner l'impression à l'auditeur de passer d'un type de lieu à un autre (hall de gare, cathédrale, etc), j'ai pu simuler des espaces acoustiques différents. Même si la pièce n'a pas été prévue pour être spatialisée, il me semble qu'elle s'y prête bien. En dehors de son effet spectaculaire, elle permet au public de se rapprocher de la perception plus analytique qu'en a l'interprète lui-même.