Depuis ma pièce Corps pour piano et ensemble, ma recherche se porte sur l’élaboration d’une forme saturée par démultiplication d’actions sonores (situations). Radium poursuit dans cette voie en radicalisant le concept: croisement entre la forme brève de certaines œuvres d’Anton Webern et de la Momentform de Karlheinz Stockhausen, la pièce enchaîne une centaine de situations d’énergie dont la caractéristique majeure est de ne jamais répéter une structure ou une articulation. Chaque situation peut être considérée comme une pièce, un monde unique se suffisant à lui-même, avec ses lois propres d’organisation des timbres, du rythme et des excès, laissant surgir, par moments, des développements soudains et lapidaires. Juxtaposées et enchaînées sans transition, ces actions sonores peuvent, dans un premier temps, paraître déconnectées les unes des autres. Cependant, les matériaux s’imbriquent, étrangement portés par une matière noire composée de la résonance, du silence et du frottement, qui crée un lien mystérieux entre les différentes parties. Si la saturation instrumentale a toujours exploré les limites du timbre, le désir d'une désorientation intégrale ne se focalise plus ici seulement sur l’auto-engendrement du matériau, mais sur le rayonnement des possibles proposés par chacune des situations. Cette forme de l’excès (ou cet excès de formes) rejette le statisme du matériau unique pour déployer une invention incessante de l’instant, kaléidoscopique, plurielle et radicale.
Raphaël Cendo
Note de programme du concert du 5 mars 2016 dans la Grande salle du Centre Georges Pompidou.