Le titre fait référence à un terme chinois qui signifie à la fois « trois » et « éparpillé » : cette double notion est la matrice même de la pièce, qui met en œuvre trois instruments (et les différentes combinaisons qui en découlent, du contrepoint le plus horizontal aux effets de masse) et différents moyens pour créer un effet d’asynchronie permanente. Si la pulsation est la même du début à la fin, elle n’est pourtant jamais perceptible ; à de très rares instants seulement, cet éparpillement est contrarié : le jeu ensemble n’en est que plus prégnant.
Les procédés utilisés pour parvenir à cette sensation sont différents dans chacune des cinq sections de la pièce. Ainsi, dans la première, Molto calmo, con docezza, c’est la superposition de vitesses, jusqu’à huit, qui crée une impression de flottement, de flou, aux harmonies diatoniques distordues de quarts de tons, et avec une directionnalité harmonique ascendante.
L’éparpillement de la seconde section, Vivo luminoso, est obtenu par l’imbrication de mélismes en un contrepoint très dense, aux harmonies mises en lumières par des basses changeantes ; le contrepoint se fait de plus en plus tendu jusqu’au geste Drammatico.
Le contrepoint suivant est encore plus dense, évoluant dans des ambitus extrêmement réduits (les champs harmoniques ne dépassant jamais un ambitus de quinte) ; cet imbroglio, si concentré que les instruments semblent indifférenciés, est interrompu à quatre reprises par un geste fulgurant de quadruples croches.
Le Vivo, molto scorrevole est un continuum élastique, qui donne l’impression de ralentir ou d'accélérer (mais la pulsation est toujours la même), suivant une trajectoire descendante, jusqu’à se cristalliser dans le registre grave, après avoir traversé tous les registres.
La cinquième et dernière section, Lento, sospeso, est, à l’instar du début de la pièce, une superposition de vitesses, mais aux harmonies gelées, immobiles : d’abord comme des milliers de gouttelettes formant un brouillard dense, aux sonorités de cloches lointaines ; puis comme un cliquetis à la mécanique détraquée ; et enfin, l’harmonie figée, d’une lumineuse froideur, disparaissant comme happée par le silence. Un soudain geste de colère, bref et inattendu, pazzo, conclut la pièce.
J’ai cherché à contrarier l’utilisation d’instruments graves par la pulvérisation des sons dans tous les registres, et plus spécifiquement les aigus ; le piano agit comme une sorte de prolongement vers l’aigu du violoncelle et de la clarinette basse, de sorte que l’on a l’impression qu’il ne s’agit pas d’une pièce pour instruments graves.