Dédiée à Emma Debussy, la Sonate pour flûte, alto et harpe devait faire partie d'une série de six sonates pour divers instruments, la dernière réunissant «les sonorités employées dans les autres». Debussy ne pourra en réaliser que trois, qu'il signera «Claude Debussy, musicien français».
Debussy voulait en effet renouer avec les maîtres français des XVIIe et XVIIIe siècles, et écrire une oeuvre «dans la forme ancienne, si souple, sans la grandiloquence des sonates modernes». Mais par delà la tradition nationale - cette prétendue musique française qu'il déborde de toutes parts - il réussit surtout à délivrer la sonate de tout académisme, et à redonner vie à une forme sclérosée : «Où sont nos vieux clavecinistes, où il y a tant de vraie musique ! Ceux-là avaient le secret de cette grâce profonde...»
Debussy n'avait que mépris pour le «développement classique dont la beauté est toute technique». Il voulait débarrasser la musique de cette «rhétorique de professionnel» : «Je voudrais qu'on arrive, j'arriverai à une musique vraiment dégagée de motifs, ou formée d'un seul motif continu, que rien n'interrompt et qui jamais ne revienne sur lui-même.» Aussi la Pastorale n'a-t-elle rien du traditionnel allegro de sonate. Les arabesques naissent les unes des autres, fluides : dans les premières mesures, la flûte poursuit la courbe ébauchée à la harpe et laisse elle-même place au chant «doux et pénétrant» de l'alto. Un mouvement de plus en plus animé amène l'épisode central, «vif et joyeux». Les éléments initiaux sont ensuite repris dans un ordre bouleversé.
L'Interlude est bâti à la façon du rondo ou du menuet. La mélodie de la flûte, reprise à l'alto, revient comme un refrain, interrompue par des digressions tour à tour «gracieuses» ou «animées».
Le Finale présente un premier groupe d'idées turbulentes, partagées entre la flûte et l'alto, sur un accompagnement obstiné de la harpe. Un thème plus calme prend ensuite naissance à la flûte, d'abord «lointain», puis soutenu par l'alto qui en contredit l'appartenance modale. Et c'est après un bref rappel de la Pastorale que le mouvement s'achève, avec un certain brio.
La Sonate crée des alliages de timbres inédits à l'époque. Son univers est celui de l'ambivalence, de l'évanouissement et de la transfiguration. Debussy lui-même écrivait : «C'est affreusement mélancolique et je ne sais pas si l'on doit en rire ou en pleurer (...)» Et pour lui, la Sonate se souvenait «d'un très ancien Claude Debussy, celui des Nocturnes il me semble ?».