À l’origine, le terme catalan « Trencadís » signifie « fragile » ou « qui se casse facilement ». Au cours du temps, son sens a évolué : de « cassures » en « éclats », il désigne aujourd’hui ce style de mosaïque typique de l’architecture moderniste catalane – celle de Josep Maria Jujol ou d’Antoni Gaudí, que l’on peut notamment admirer dans le célèbre parc Güell de Barcelone. Cette mosaïque a ceci de particulier que la céramique est d’abord fabriquée en larges morceaux, qui seront cassés pour être recomposés ensuite – on peut ainsi percevoir le dessin originel, la forme nouvelle créée, ainsi qu’un « négatif », révélé par un examen attentif des joints.
C’est à cet artisanat minutieux, transposé au langage musical, que s’est livré ici le compositeur Marc Garcia Vitoria. Dans chacune des quatre grande sections qui composent la partition, un modèle fractal détermine la forme globale et les grands gestes musicaux. Toutes les cellules qui forment cette structure cohérente et relativement rigide ont ensuite été systématiquement brisées en petits éclats, lesquels éclats ont été recollés dans un ordre différent, pour bâtir une nouvelle structure. Respectueuse de la première, celle-ci laisse voir néanmoins chaque éclat et le réseau complexe des jointures. Ainsi naît tout un jeu entre unicité et fragmentation, ramification fractale et singularité, détermination et invention.
Conçu non pas comme un «triple concerto» mais comme un concerto grosso, Trencadís instaure un dialogue entre le concertino (incarné par l’accordéon et les deux percussions, écrit spécialement pour le Trio K/D/M) et le ripieno, sans toutefois cantonner chacun à sa stricte fonction. Bien au contraire, concertino, ripieno et électronique se partagent et s’échangent inlassablement leurs rôles, chaque voix prenant, à son rythme, sa liberté au sein du groupe. La technique du « trencadís » venant ensuite éclater leurs discours propres.
Jérémie Szpirglas, programme ManiFeste 2015.