biography of Jonathan Harvey© Maurice Foxall
Mis à jour le 5 décembre 2012

Jonathan Harvey

Compositeur britannique né le 3 mai 1939 à Sutton Colfield, Warwickshire, mort le 4 décembre 2012.

Parcours de l'œuvre de Jonathan Harvey

par Bruno Bossis

Né en 1939, Jonathan Harvey est l’un des compositeurs anglais les plus importants depuis les années 1960. Il appartient à la même génération que Peter Maxwell Davies, qui a séjourné à Princeton quelques années avant Harvey, et Harrison Birtwistle. Sa musique s’enracine dans le plain-chant et dans la musique vocale anglaise. Son intérêt pour le sérialisme, son engagement pour l’utilisation des technologies et sa passion pour des cultures non occidentales en font l’un des représentants les plus originaux de la musique contemporaine. Loin de toute facilité, son œuvre exigeante témoigne de choix stylistiques dans lesquels la rigueur de l’écriture s’allie à une pensée, à une spiritualité et à un imaginaire poétique de haute tenue. Dans sa musique, la sérénité, la transparence, le calme et la douceur apparents sont le fruit de ces recherches qui s’éclairent mutuellement.

Les années de formation

Fils d’un homme d’affaire anglais, compositeur autodidacte amateur des harmonies de Scriabine et de Fauré, Jonathan Harvey participe très tôt aux activités musicales familiales. A neuf ans, il entre au St Michael’s College de Tenbury Wells, institution renommée dans laquelle il travaille le piano et le violoncelle, et chante quotidiennement lors de deux services religieux, rituels qui l’impressionnent fortement. Le contact avec la grande tradition de la musique chorale anglaise et la richesse de la bibliothèque de l’école contribuera à la richesse de la pensée musicale du compositeur.

Son passage à Repton School l’éloigne ensuite de cette proximité avec la religion. Il y rencontre Benjamin Britten qui l’encourage et lui trouve un professeur de composition, l’éditeur et chef d’orchestre Erwin Stein, un élève de Schönberg. Son apprentissage progresse rapidement dans le cadre d’une certaine rigueur formelle. En 1957, il entre à l’université de Cambridge. Lorsque Stein meurt en 1958, Britten lui conseille alors Hans Keller, qui se situe également dans la filiation de Schönberg, mais dont les conseils lui laissent plus de liberté.

Ses études terminées, Harvey commence une carrière d’enseignant à l’université de Southampton, puis à l’université du Sussex, dans le sud-est de l’Angleterre. En dehors de la composition, il y donne un cours interdisciplinaire sur l’art et le spirituel pour les Cultural and Community Studies et un autre sur l’opéra.

Les années soixante et début des années soixante-dix : œuvres de jeunesse, musique anglaise et sérialisme

Les œuvres de jeunesse de Jonathan Harvey forment un corpus relativement dense et cohérent. Elles sont profondément influencées par ses premières rencontres musicales, mais laissent également deviner certains traits de son style de maturité. Tout d’abord, sa fréquentation du plain-chant et de la musique sacrée anglicane ancre ses premières compositions dans la tradition. Par ailleurs, sa connaissance du sérialisme, acquise à travers l’enseignement de ses professeurs, Stein et Keller, est complétée lors de son séjour à Princeton en 1969-1970. Il y rencontre en effet Milton Babbitt, un acteur important de la musique sérielle aux Etats-Unis. En 1972, l’écriture de sa Cantata VII (On Vision) s’appuie particulièrement sur ces techniques sérielles. Harvey affirmera plus tard que « pour atteindre le frisson de la richesse, il est toujours nécessaire de s’imposer des contraintes rigoureuses 1 » . Mais l’influence de Babbitt sur le jeune Harvey se situe aussi sur un tout autre plan. Le compositeur américain est également un passionné de musique électronique. Comme Babbitt, Harvey ne tardera guère à croiser l’écriture sérielle et les techniques électroacoustiques. En effet, l’effectif de la Cantata VII (On Vision) comprend également, pour la première fois dans son œuvre, un dispositif électroacoustique sous la forme d’une bande magnétique stéréophonique.

De 1964 à 1977, Harvey enseigne régulièrement à l’université de Southampton. Il y aborde la musique de la seconde école de Vienne et celle de Boulez et Ligeti. Il assure également un cours de composition et un autre sur la théorie analytique de Heinrich Schenker. Par ailleurs, sa pratique d’improvisations avec des dispositifs électroniques renforce encore son intérêt pour la nouvelle lutherie.

En 1966, sa rencontre avec Karlheinz Stockhausen à Darmstadt est un événement important dans sa jeune carrière. Dès l’année suivante, l’empreinte de Stockhausen sur la Chaconne pour orchestre est évidente, même si le compositeur anglais possède déjà sa propre personnalité musicale. Harvey admire dans la musique du compositeur de Cologne la fusion de la construction rationnelle et de l’aspect intuitif allant parfois jusqu’au mystique. Vivement impressionné sans pour autant suivre un modèle stylistique, Harvey commence, dès 1969, à écrire un livre sur Stockhausen. Il affirme encore en 2000, dans un entretien accordé à Arnold Whittall, que Stockhausen « […] est resté un guide mystérieux à travers mon œuvre 2 » .

Il faut souligner que Stockhausen, comme Babbitt, recherche alors une vision structurelle du temps, une écriture fortement charpentée sur le plan formel, mais aussi un élargissement des possibilités de la lutherie par l’introduction de nouvelles technologies.

Grâce à cette curiosité d’esprit, les œuvres de jeunesse de Harvey se démarquent déjà du style musical alors dominant en Angleterre (Tippett et Britten) en s’appuyant sur ce qui deviendra le post-sérialisme d’une part et les découvertes récentes de l’électronique musicale d’autre part. Si le langage de Harvey n’est pas encore tout à fait personnel, les fondations sont en place et les prémices d’un style original apparaissent déjà. Dès sa Symphonie (1966), il est aisé de percevoir la transparence de la texture sonore et la flexibilité formelle qui deviendront des caractéristiques importantes de son style de maturité.

Les années soixante-dix : vers un style plus contemplatif, fusion entre musique et spiritualité

Vers 1972, Harvey découvre les livres de Rudolf Steiner, le spécialiste de Goethe et le fondateur de l’anthroposophie qui vise à réconcilier les mondes matériel et spirituel. Pour Steiner, tout élément de la nature la plus triviale possède une composante spirituelle. Cette pensée a influencé indirectement la musique de Harvey en favorisant la dissolution de certains formalismes en faveur de constructions plus souples, mais sans pour autant marquer un quelconque relâchement. Au contraire, pour Harvey, l’introduction d’une part d’irrationalité, d’incompréhensible, témoigne d’un état particulièrement intense de l’être. Cette idée est fondamentale, non seulement dans la pensée de Harvey, mais aussi dans son écriture musicale.

Ainsi, dès les années 1970, Harvey cherche à rapprocher son langage musical, notamment harmonique et électroacoustique, de la spiritualité. Inner Light, trilogie composée entre 1973 et 1977 sur des textes en partie issus des œuvres de Steiner, reste encore fortement structurée par des procédés d’écriture reconnaissables, mais évolue déjà vers une musique beaucoup plus contemplative. Dans son style de maturité, le contraste entre l’évidence téléologique de gestes musicaux fortement ancrés dans le temps et la lumière intemporelle d’une mélodie ou d’une harmonie extatiques sera de plus en plus évidente.

Le début des années quatre-vingt : spiritualité chrétienne et technologie

Au début des années 1980, deux événements vont profondément influencer Jonathan Harvey : sa participation à la vie religieuse de Winchester et son travail à l’Ircam.

Après l’inscription de son fils Dominic dans le chœur de la cathédrale de Winchester, le compositeur est impressionné par la qualité de l’ensemble vocal, et par l’acoustique particulière de la cathédrale. Harvey écrit alors une douzaine d’œuvres pour le chœur, dont Hymn (1979). Le doyen de la cathédrale et l’évêque Taylor favorisent également sa participation et c’est avec le chœur de Winchester qu’il monte l’opéra Passion and Resurrection. Si la première partie de cette œuvre, intitulée Passion, repose sur une musique austère et implacable, la seconde, Résurrection, fait apparaître pour la première fois chez le compositeur un axe de symétrie, procédé utilisé sous une autre forme dans Bhakti (1982). L’harmonie construite sur des notes fondamentales situées en son centre semble faire léviter les textures sonores, métaphore de la transcendance spirituelle chrétienne, comme la résurrection délivre le Christ de la souffrance humaine. Une fois encore, la technique d’écriture est mise au service d’une conception spirituelle.

La vie musicale associée à la cathédrale de Winchester inspire également le compositeur lorsqu’il est invité à l’Ircam à la même époque. Mortuos Plango, Vivos Voco (1980), pour bande seule, est entièrement réalisée sur ordinateur à partir de deux sons enregistrés : la voix de son fils Dominic et la grande cloche ténor de la cathédrale. Dans cette œuvre, un processus basé sur des axes de symétrie est à nouveau présent, mais cette fois au sein même des partiels, dans des glissandi spectraux. D’autres pièces importantes seront composées à l’Ircam, dont Bhakti (1982), Ritual Melodies (1990), Advaya (1994), le Quatuor à cordes n° 4 (2003) et Wagner Dream (2007). Contrairement à d’autres styles musicaux, l’électronique est très rarement utilisée chez Harvey pour créer des gestes musicaux spectaculaires, mais plutôt pour créer des zones d’incertitudes. Par exemple, dans Madonna of Winter an Spring, la réverbération prolonge les résonances de l’orchestre et génère un halo lumineux qui brouille la perception de structures musicales individualisées. En dehors de l’Ircam, Harvey a également travaillé au sein du studio du MIT aux Etats-Unis avec Tod Machover et Barry Vercoe pour From Silence (1988) et au studio de la WDR à Cologne sur One Evening… (1993-1994).

Les outils technologiques lui permettent ainsi de manipuler le son au niveau de ses composantes intimes, les partiels, rapprochant ainsi sa musique des idées du courant spectral né au sein de L’Itinéraire. Mortuos Plango, Vivos Voco, avec ses hybridations et interpolations spectrales entre voix et cloche, entre sons naturels et artificiels, Bhakti dont le dernier mouvement comprend une longue exploration spectrale de la série harmonique génératrice de la pièce sur sol, Ritual Melodies fondées sur un spectre unique, le Tombeau de Messiaen *(*1994) avec ses jeux sur les harmoniques naturelles ou non, sont autant d’exemples de l’exploration de l’intérieur des sons.

Plus généralement, pour Harvey, la technologie n’est pas un frein à une approche plus spirituelle de la musique. Au contraire, elle a toujours constitué pour lui une sorte de porte ouverte, de passage, de pont vers une expression de l’indicible.

À partir des années quatre-vingt : vers une vision mystique

En 1982, Bhakti dévoile pour la première fois une attirance vers le bouddhisme qui marquera les œuvres des années suivantes. Des fragments du Rig Veda sont cités à la fin de chaque mouvement. Le titre sanskrit signifie « dévotion », notion devant être comprise ici, non comme un attachement aveugle et stérile à un rite, mais comme un chemin vers le salut. L’interrogation sur la souffrance, si importante pour Harvey, trouve un espoir de solution dans le bouddhisme. Mais cette conscience ne relève pas du rationnel se basant sur des concepts simples et entièrement définis. Musicalement, dans Gong-Ring (1984), la modulation en anneau rend imperceptible toute catégorisation sonore en engendrant un grand nombre de partiels, comme une irradiation complexe. La lumière mystique est plus directement évoquée dans Tendril (1987), œuvre écrite sur le vers de e. e. cummings : « luminous tendril of Celestial wish ». Valley of Aosta (1988), inspirée par un tableau de Turner, donne vie à cette lumière diffuse, à la fois équivoque et transcendante. Comme chez le peintre, la matière est palpable, les objets existent mais ne sont pas discernables individuellement. Toute pluralité est dépassée. Plus tard, les Ritual Melodies (1990) évoquent des rituels imaginaires à l’aide de chaînes mélodiques et de timbres ambigus réalisés par ordinateur. L’oubli des catégories matérielles mène à l’unicité et au vide. La vacuité bouddhiste, heureux mariage entre la béatitude et le vide, se reflète dans le quatrième mouvement de One Evening... (1993-1994). Opposé à l’hébètement, cet oubli de soi et de la matérialité mène au contraire à un niveau supérieur de conscience et de créativité. A propos de From Silence, le compositeur affirme que le silence est « l’état zéro dans lequel la paix profonde et la créativité sont vécues 3 » . En 1994, Advaya, dont le titre sanskrit signifie l’absence de dualité, réalise métaphoriquement l’unité en fusionnant les mondes sonores du violoncelle et de l’électronique dans des textures sonores à la fois méditatives et pleines de vie. Enfin, la contemplation extatique et éveillée est pleinement vécue dans Tranquil Abiding (1998), comme un lac et ses reflets.

Au début du XXIe siècle, la composition du troisième opéra de Harvey constitue une sorte de point de convergence des différentes préoccupations du compositeur et de son parcours musical. Wagner Dream (2007) met en relation les derniers instants de la vie de Wagner et son projet peu connu, resté à l’état de synopsis, d’un opéra bouddhiste. Dans Wagner Dream, le personnage de Wagner, mourant, assiste à l’opéra qu’il n’a pas composé, mettant en scène l’amour impossible de Prakriti et d’Ananda. Si la jeune fille choisit le renoncement bouddhiste, Wagner optera in fine pour le douloureux combat de la vie sur terre. L’électronique, un élément important de l’opéra, favorise la dissolution de la texture sonore, proposant une perception plus bouddhiste du monde. Réalisé en grande partie à l’Ircam, le dispositif comprend un système informatique permettant un grand nombre de traitements sonores en temps réel dont une spatialisation commandée par une tablette graphique. Wagner Dream est également remarquable par la mise en œuvre d’une chaîne mélodique irriguant en profondeur le discours musical et l’unifiant. Dissolution et unicité se conjuguent au sein de la pensée bouddhiste comme dans la musique de Harvey.

Au-delà de la seule musique

L’œuvre de Jonathan Harvey rassemble les spiritualités occidentale et orientale dans une fusion sonore complexe. L’écriture musicale de ses débuts, issue de ses études sérielles, s’assouplit et se transforme progressivement en une méditation sonore extatique, inspirée par la pensée post-romantique de Steiner, puis par la spiritualité chrétienne et bouddhiste. Orient et Occident, nature et métaphysique, ou plus musicalement tradition vocale anglaise et sérialisme, dispositif électronique et instruments acoustiques, toute dualité semble se dissoudre chez Harvey dans une communion d’un ordre supérieur. La transparence et l’ambiguïté des textures sonores, la conduite temporelle extatique, ne tendent pas vers un néant musical, n’expriment pas l’inexprimable, mais véhiculent une grande rigueur d’écriture et une pensée complexe. Pour Harvey, comme dans le bouddhisme, le renoncement reflète une intense activité spirituelle et ouvre le passage vers la transcendance.

Bruno Bossis (Université Rennes 2, Université Paris IV - Sorbonne)

Notes
  1. Jonathan HARVEY, « The Mirror of Ambiguity », dans The Language of Electroacoustic Music, (textes réunis par Simon Emmerson), Macmillan Press, 1986 (traduction française dans Le timbre, métaphore pour la composition, Paris, Ircam-Christian-Bourgois, 1991), p. 183.
  2. Arnold WHITTALL, Jonathan Harvey, traducteurs Peter Szendy et Eric de Visscher, Paris, L’Harmattan, Ircam-Centre Georges Pompidou, 2000 [édition originale Londres, Faber & Faber, 1999], p. 22.
  3. Jonathan HARVEY, Notes by Jonathan Harvey, livret du Cd Jonathan Harvey, traduction de l’auteur, USA, Bridge Records, BCD9031, 1992, n. p.
© Ircam-Centre Pompidou, 2007


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