Cette pièce m’a été inspirée par un instrument traditionnel chinois à cordes pincées : le guqin (proche du koto japonais et du gayageum coréen). Quand on joue du guqin, un certain nombre d’éléments esthétiques entrent en jeu : le mouvement, le geste, en plus des sons produits. L’écriture du temps et des évènements musicaux repose entièrement sur un répertoire de gestes, motifs et positions des mains dont la notation se fait en caractères chinois. Par exemple, le titre L’oeil du Phoenix, l’oeil du Dragon est tout simplement une traduction littérale de la notation de deux des gestes techniques du répertoire musical du guqin. Pour cette composition, le violoncelle – en tant qu’instrument emblématique de la musique occidentale – est placé à l’horizontale devant la violoncelliste (Yi Zhou). En le faisant ainsi pivoter de 90°, l’association avec l’instrument asiatique se fait plus manifeste. D’autre part, la vidéo, qui fait partie intégrante de ma composition, accentue la focalisation de l’attention sur le geste, en permettant de le détailler et en en proposant différents points de vue. Les images, captées en temps réel, sont juxtaposées à des séquences préenregistrées et font fonction, dans l’écriture, de plusieurs voix distinctes. De la même manière, l’électronique agit en parallèle ou en contrepoint des actions et de la présence de l’interprète. Ce n’est qu’en revenant à l’abstraction du geste musical, en opérant consciemment ce questionnement des racines de la tradition, que le lien peut se faire entre les deux traditions et syntaxes ; cette pièce est ainsi ma contribution à ce défi d’importance, qui est sans l’ombre d’un doute l’ambition de nombreux compositeurs contemporains asiatiques.
Yang Song, traduit de l’anglais par Jérémie Szpirglas, note de programme du concert ManiFeste du 12 juin 2021 au CENTQUATRE-PARIS.