Parcours de l' oeuvre de Michel Fano

par Alain Poirier

Le compositeur de musique : des premières œuvres à la « partition sonore »

Bien que sa formation au Conservatoire corresponde à un apprentissage très conventionnel et académique dans les classes d’accompagnement au piano, d’écriture et de composition, Michel Fano trouve dans l’enseignement de Messiaen une approche qui agissait alors comme « déclencheur ». L’analyse approfondie de Don Giovanni, de Pelléas et de Tristan, et effleurée de Wozzeck, a ouvert de nombreux horizons aux élèves qui découvraient parallèlement le grand répertoire historique et la musique de Bali.

Rapidement intégré dans les proches de Boulez, Fano compose la Sonate pour deux pianos suivie de l’Étude pour quinze instruments avant de rejoindre l’équipe du Domaine musical en 1954. C’est également l’année des écrits militants, dans la résonnance des déclarations de Boulez (dans Domaine Musical n°1, Le Point et dans les Cahiers Renaud-Barrault). Écrite dans le sillage du Mode de valeurs et d’intensités de Messiaen, germe de la sérialisation généralisée qui sera mise en œuvre par Fano dans les deux œuvres qu’il compose en 1952-53, parallèlement aux œuvres de Boulez (Structures I) et de Stockhausen (Kreuzspiel), la Sonate qui est la seule à avoir été jouée, constitue l’une des œuvres fondatrices des années cinquante, d’une grande difficulté rythmique (Fano en a réalisé ensuite une deuxième rédaction) est autant marquée par le travail sériel que par Berg dont la série utilisée est dans l’esprit de celle de la Suite lyrique (avec, en clin d’œil, un si pour dernier son – symbole omniprésent du couteau dans Wozzeck). Quant à l’Étude pour quinze instruments, restée inédite, elle a intéressé Stockhausen au point qu’il l’a empruntée au compositeur sans jamais la lui rendre (Fano en possède une reconstitution dans ses archives).

Les extrêmes difficultés d’exécution de ces œuvres, à la limite de l’injouable, ont aussi contribué à éloigner Fano de cette écriture en trouvant plus de satisfactions dans le travail infiniment plus précis offert par la manipulation du son au cinéma : « Je suis resté attaché à cette finesse et c’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis tourné vers la musique pour bande. » (Fano 1986, p. 140).

La difficulté de composer après « l’expérience des limites » que constitue la phase de sérialisation généralisée dans ses deux partitions, associée à la traumatisante mobilisation en Algérie (1956) qui a laissé de profondes et douloureuses séquelles, ont conduit durablement Fano à s’éloigner, sinon à rejeter l’idée de la composition, tout en jugeant qu’il ne serait ni un deuxième Boulez, ni un deuxième Barraqué, mais en ne reniant jamais cette période d’expérimentation et leurs auteurs qu’il soutiendra toujours fidèlement. La page purement compositionnelle de Fano n’en semble pas moins tournée.

Parallèlement à la réflexion qu’il va bientôt entreprendre sur la bande sonore au cinéma, Fano n’en reviendra pas moins vers la composition, mais par le chemin détourné des hauteurs non déterminées des percussions contournant toute préoccupation de langage harmonique, dans le cadre de documentaires ou du cinéma muet. C’était aussi pour lui refuser la notion conventionnelle de « musique de film », trop souvent redondante et pléonastique par rapport à l’image et limitée à une fonction illustrative et dont l’intervention reste dépendante du bon vouloir du réalisateur. Le premier documentaire, La Bataille de France (Aurel, 1964), consiste en un montage d’archives de la période des Accords de Munich à la Bataille de Dunkerque (1938-1940) où la musique de Fano n’échappe pas complètement à l’illustration d’événements et d’images dramatiques.

Plus tard, en fréquentant Chris Marker et son collectif de réalisateurs SLON (Service de Lancement des Œuvres Nouvelles), Fano a participé, toujours avec des percussions, à la bande sonore de Loin du Viêt-Nam (1967) film coordonné par Chris Marker – auquel ont participé Joris Ivens, William Klein, Alain Resnais, Agnès Varda, Jean-Luc Godard et Claude Lelouch –, avec des musiques dues à Hanns Eisler, Michel Fano, Philippe Capdenat et Georges Aperghis. De même, et toujours sous l’impulsion de Chris Marker, il a contribué à la version française et à la sonorisation du chef d’œuvre muet deMedvedkine, Le Bonheur (1934) alternant les percussions de Fano et la musique de Moussorgsky.

En 1995, il revient à la composition purement musicale avec le cycle Fab – dont Fab IV pour soprano et ensemble instrumental (sur un texte du compositeur), et Fab V pour piano (1998) – pour trois récitants, piano, clarinette basse, violon et son enregistré sur des textes de Sophie Lapierre.

Du compositeur au cinéma : références et sources

Du point de vue musical, Fano a toujours revendiqué la qualité particulière de l’enseignement inventif de Messiaen au Conservatoire et l’étroite fréquentation du cercle du Domaine musical. C’est dans le contexte de cette époque qu’il a rencontré des personnalités telles que Pierre Souvtchinsky ou André Schaeffner, et qu’il a, comme beaucoup de compositeurs de sa génération (Boulez, Barraqué, Boucourechliev, Pousseur, Stockhausen, Berio, Nono), été profondément marqué par l’Introduction à Jean-Sébastien Bach de Boris de Schloezer (1947). Il en retiendra les notions de la musique immanente (ne renvoyant à rien d’autre qu’elle-même), le rôle de l’auditeur et du recours à une écoute active – « écouter et comprendre une œuvre, ce n’est nullement la subir (…), c’est la reconstituer » (2009, p. 35) –, ou de l’impossibilité « d’extraire sans le dénaturer le contenu de la forme. » (2009, p. 21), toutes idées mises en œuvre par Fano dans ses futures bandes sonores. La notion d’« écoute » restera essentielle pour Fano qui la développera encore dans le film de Miroslav Sebestik en 1992 : « De plus en plus agressé par un environnement sonore pollueur, peut-on espérer que la confusion entre “entendre” et “écouter” soit définitivement abolie : qu’il soit admis que l’écoute est un travail, au même titre que la lecture, l’appréhension d’un tableau ou d’un film ? »

L’autre référence est Wozzeck, entrevu dans la classe de Messiaen, et révélé peu après au Festival « L’œuvre du XXe siècle » (1952) sous la direction d’Horenstein. Suivra le célèbre livre écrit avec Pierre-Jean Jouve, qui oscille entre l’analyse générale mais minutieuse de Fano et le commentaire de Jouve, jugé sévèrement par Schloezer (2011, p. 149). Outre la connaissance détaillée de l’opéra de Berg, Fano sera profondément marqué par l’idée de « rhétorisation du drame par la musique » développée par Souvtchinsky (1963) qui va profondément marquer sa réflexion exposée dès son article important, « Vers une dialectique du film sonore » (Cahiers du cinéma, 1964) : « “Rhétoriser” l’image, tel serait le pouvoir véritable, non plus de la seule musique de film, mais du total sonore (mots, bruits, sons musicaux). »

L’idée du « film-opéra » déduite de Wozzeck (que Boulez venait donner à l’Opéra en 1963) que Fano a développée dans « Quatre notes sur le temps » (1981), l’a conduit à en souligner la dimension cinématographique dont les exemples abondent : les procédés de fondu enchaîné, de « travelling avec zoom » sur Wozzeck, le cut cinématographique, Flashbacks et Flash-forwards, l’utilisation du silence ou les effets d’intertitres, position confirmée par l’Interlude central de Lulu scénarisé explicitement par Berg comme une « Filmmusik » dans son livret et dont Fano a conçu une séquence filmée pour la création en 3 actes à Paris en 1979 (Boulez/Chéreau). Le second opéra offre en effet une accentuation encore plus élaborée de la rhétorisation du drame par l’usage des « formes différées » – la sonate incarnant le docteur Schön s’interrompant pour reprendre plus tard – dans un ouvrage entièrement conçu comme une forme en arche. Ce n’est pas un hasard si Fano reviendra à nouveau vers ce « musicien de l’image » dans sa nouvelle analyse de Lulu (2020).

Le « pouvoir » de la musique

Berg a littéralement conçu un « montage » du drame inachevé de Büchner ordonné en 3 actes et 15 scènes (le passage du « pouvoir » du récit du 1er acte à celui de la musique dans les inventions du 3e), de même que pour Lulu que le compositeur a élaboré à partir de deux pièces de Wedekind. Fano ne procèdera pas autrement dans Le Territoire des autres : 7 ans de tournage par Bel et Vienne, 47 km de pellicule dans lesquels Fano sélectionnera et ordonnera les 90’ du film – tout comme Berg a « monté » les textes de ses deux opéras – en distribuant les thèmes en 7 mouvements dans une alternance lent-vif dans le cadre d’une vaste symphonie : le pouvoir donné à la bande son – le film est « muet », entièrement fondé sur les sons des animaux et privé de tout commentaire oral – thématisant les parties reposant chacune sur une phase du comportement animal : les personnages, le décor / regards / présence de l’animal / le mouvement / la vie de relation / la vie de famille / territoire, sexualité, discours. Comme la musique de Berg encadrait le 2e acte en une symphonie en 5 mouvements, Fano donne le pouvoir à la musique en articulant et rhétorisant les différentes parties. Fondamentalement distinct des documentaires animaliers, Le Territoire des autres est une fiction fondée sur le regard : « C’est la première fois qu’on a vu des animaux regarder l’homme et non plus l’homme regarder l’animal. » (Fano, 1978, p. 660) et reste comme l’une des réalisations les plus inventives de Fano qui, par son travail d’élaboration de la dramaturgie, est également crédité, avec Jacqueline Lecompte au montage, au titre de réalisateur du film.

Avec des moyens techniques différents grâce au multipiste, Fano a donné plus d’importance encore à la bande sonore dans La Griffe et la dent (1973), le second film animalier avec Bel et Vienne, aux images africaines toujours aussi somptueuses (l’amour chez les félins) et parfois violentes (la chasse inégale entre les félins et leurs victimes), auxquelles répond une musique âpre et fortement présente. Centré sur les paysages africains, le film qui n’est pas un film sur les animaux mais avec les animaux, repose sur les interactions animales : de la nature sur les groupes, à l’intérieur des groupes, des individus sur la collectivité, des groupes entre eux (Moinot, 1977, p. 7).

Le son au cinéma

L’histoire du cinéma a fourni à Fano des exemples inventifs de l’utilisation du son qu’il aime citer comme références : Eisenstein (Octobre) en opposition à l’exemple traditionnellement cité et conventionnel d’Alexandre Nevski, Lang offrant une première expérience de balisage d’un récit par la bande sonore (M le maudit), Mizoguchi travaillant la continuité entre la langue et la musique (Les Amants crucifiés), Resnais (Hiroshima) où la musique devient le troisième personnage du film, Tarkovski (Nostalghia) où les sons correspondent à l’expression mentale du personnage principal, ou encore Welles qui a profité dans ses films de son expérience radiophonique, et plus récemment Godard (Prénom Carmen).

C’est précisément l’époque de Hiroshima mon amour de Resnais sur un scénario de Duras (qui passera aussi derrière la caméra pour filmer certains de ses romans, alors que Robbe-Grillet ne réalisera aucune adaptation de ses romans et écrira spécifiquement les scénarios, des « cinéromans » pour le cinéma. Fano mentionnera souvent l’exemple des cloches sonnant à toute voléedans Hiroshima, lorsque le personnage féminin évoque sans que l’on en perçoive le son et évitant la simple illustration, alors qu’on les entendra plus tard détachées du contexte, donnant tout le sens à la première occurrence. Il retrouvera cette même préoccupation dans L’Année dernière à Marienbad de Resnais, qui respectera très scrupuleusement le découpage « plan par plan » du ciné-roman écrit par Robbe-Grillet.

En 1967, Fano participe à deux films dans lesquels il utilise des musiques préexistantes pour mieux répondre au propos. Dans Lamiel de Jean Aurel, le montage sonore, au travers du choix de l’ouverture de L’Enlèvement au sérail de Mozart qui réapparaît pas moins de quinze fois (et de quelques emprunts au Mariage secret de Cimarosa), correspond au marivaudage libertin d’une femme (Anna Karina) qui multiplie les liaisons à la recherche du véritable amour.

Plus engagé et plus subtile dans le documentaire de Nelly Kaplan, Le Regard Picasso, la partition sonore de Fano explore les Variations Diabelli de Beethoven, choix corroboré par certains passages du texte en voix off : « Il se plaît à démonter les choses pour mieux en étudier la construction. » ou de propos empruntés à Picasso : « Auparavant, les tableaux s’acheminaient vers leur fin par progression. Un tableau était une somme d’additions. Chez moi, un tableau est une somme de destructions. » Le film alterne les propos parlés, les images sans paroles et la musique – jamais de superposition entre texte récité et musique, seulement parfois superposition de cartons à lire sur la musique, alternant le « pouvoir » du texte et le « pouvoir » de la musique sans qu’ils ne se contredisent jamais. Les variations de Beethoven sont en général citées dans l’ordre chronologique et jouées sans reprises (sauf indication) mais seules dix variations sont utilisées en entier, d’autres partiellement et certaines données deux ou trois fois.

Après la collaboration avec Robbe-Grillet, Fano aura encore l’occasion de pratiquer la désynchronisation entre l’image et le texte énoncé dans le film inventif de Marcel Hanoun, L’authentique Procès de Carl Emmanuel Jung(1977) dans lequel les témoins vus à l’écran parlent avec une autre voix post-synchronisée (Michael Lonsdale) : seul l’aveu du coupable, « Oui, j’ai tué ! » sera synchrone entre l’image et le son. Familier de l’utilisation de musiques préexistantes (Les Saisons), Hanoun montre notamment le coupable jouant une fugue deL’Offrande musicaleau clavecin (l’art de la fuite ?) ou regardantOrphée et Eurydice de Gluck à la télévision (l’impossibilité de ramener l’être aimé des enfers).

La rencontre Fano–Robbe-Grillet

Dès la lecture des Gommes, Fano a été immédiatement attiré par la « qualité musicale » de l’écriture de Robbe-Grillet, au point d’envisager une adaptation cinématographique du roman avec Noël Burch, projet qui sera finalement non réalisé pour des raisons financières. La dimension musicale décelée par Fano dans les textes de Robbe-Grillet renvoie à une forme et à une combinatoire musicale, jouant entre mémoire et prémonition comparable à la mise en œuvre de Berg dans ses opéras. L’Immortelle, première collaboration avec Robbe-Grillet, constitue un premier pas vers la conception de « partition sonore » mise en œuvre dans Trans-Europ-Express remettant fortement en question la narration et surtout dans les deux films qui suivent.

Une telle approche n’a pu être réalisée par Fano qu’en participant au tournage de L’Homme qui ment dès le début, film tourné en muet, paroles, bruits et musique n’intervenant qu’à l’étape de post-synchronisation et permettant à Fano d’introduire toutes sortes de désynchronisation entre passé et futur, entre souvenirs et prémonitions mise en œuvre dans Wozzeck. Cet homme qui « ment » est dès le début pris sur le fait entre la narration (voix off) de Trintignant et ce que montre l’écran : « J’ai erré dans la rue, anonyme dans la foule des passants » alors que la rue est déserte, « Je me suis dirigé vers l’auberge, vide elle aussi » alors que celle-ci est bondée et emplie par le brouhaha des conversations.

La conception de la « partition sonore » (empruntée à Varèse) où Fano a renversé la proposition habituelle de la parole dans le film « garante de la compréhension du récit » (Fano, 1981, p. 106), le « pouvoir » de la parole, en plaçant au même niveau la tripartition paroles / bruits / musique au profit d’un continuum sonore glissant de l’une à l’autre des trois composantes, et susceptible de prendre en charge l’ensemble du film : lorsque le personnage principal parle à l’une des femmes, puis ferme la bouche alors que son propos se poursuit, le glissement de l’acteur au narrateur provoque un changement de perception. Empruntant à Umberto Eco (La structure absente, 1972), Fano applique la notion d’« épaisseur sémantique variable » donnant le pouvoir tantôt à la parole ou à la musique, avec le bruit ou les ambiances comme intermédiaire : « La parole possède une épaisseur sémantique maximum qui renvoie à un sens. Le son musical possède une épaisseur sémantique quasiment nulle. Entre ces deux extrémités, il existe une zone extrêmement intéressante du son non-musical pouvant servir de lien et autoriser le passage d’un mot à un bruit, puis d’un bruit à un son musical de manière presque imperceptible. » (Langlois, p. 345). Travaillant sur la manipulation, un son peut donc changer de sens soit en établissant une relation par filtrage entre les coups de mitraillette initiaux et le martellement du pic-vert, ou le travail sur les gouttes d’eau devenant vibraphone ou célesta, le verre brisé, soit par des « sons chimériques » (à une porte se fermant brutalement peut correspondre un son de cloches qui renvoie lui-même à une autre situation). Ainsi, Fano se constitue un répertoire thématique restreints de bruits devenant musique qui, déplacés dans le temps, n’apparaîtront pas toujours dans le même contexte, démultipliant le sens.

La partition sonore, que Fano cite volontiers comme son travail le plus abouti, ainsi mise en œuvre complexifie la perception du film qui réclame une attention soutenue de la part de spectateur. L’expérience a provoqué des réactions lorsque le schaefferien Michel Chion critique « l’atonalisme post-sériel que Fano professe » (Chion, 2019, p. 380) au travers de la dissonance audiovisuelle qui « n’est qu’un décalage inverse de la convention, et donc un hommage à celle-ci, nous enfermant dans un logique binaire. » (Chion, 2017, p. 47). Loin d’être aussi systématique, la partition sonore permet d’établir de nombreuses relations entre les différents événements du film, provoquant des allers-retours dans un récit volontairement brouillé par l’écriture de Robbe-Grillet, et dont la subtilité ne peut être saisie qu’après plusieurs visionnages : « Pouvoir compositionnel et circulation du sens définissent les dispositifs nouveaux d’articulation de tous les sons entre eux, échappant à la “naturalité” du récit pour se rapprocher des formes musicales d’organisation de la durée. » (Fano, 1981, p. 108).

Avant l’expérience de L’Homme qui ment, Robbe-Grillet avait demandé à Fano d’introduire des éléments musicaux dans Trans-Europ-Express empruntés à Verdi – l’un des compositeurs favoris du réalisateur – en manipulant des extraits découpés note par note de La Traviata, comme il le fera à nouveau à partir de Il Trovatore dans Le Jeu avec le feu (1975).

Avec L’Eden et après (1970), Fano utilise des sons de synthèse dans un film répondant, selon Robbe-Grillet, à une « conception sérielle » à partir d’une combinatoire exploitant ensuite l’idée d’une forme ouverte dans le remontage du film pour une version télévisuelle sous le titre anagrammatique de N. a pris les dés (1971).

Il faut également mentionner l’expérience de la pièce radiophonique La Chambre secrète en 1981, sur un court extrait sélectionné par Fano dans les Instantanés de Robbe-Grillet (1962) : « J’avais demandé à Michael Lonsdale de dire le texte de trois manières différentes : une façon neutre, une façon chuchotée, une façon emphatique. À partir de ces trois éléments, j’ai constitué une structure en spirale comme en possède le texte lui-même – il y a trois ou quatre volets qui reviennent à leur début pour recommencer, mais avec des variations […] Et cela en me créant une sorte de film imaginaire, car j’étais incapable d’imaginer une construction sonore in abstracto je me suis donc créé des images, qui n’apparaissent pas mais qui m’étaient nécessaires comme support. » (Fano, 2008). Au travers de la recomposition des trois lectures, restituées dans un « langage fantomatique », Fano poursuit ainsi son travail sur le continuum entre parole et musique, et sur le sens, qui, perturbé par les manipulations, oscille entre le compréhensible (l’escalier, la colonne, « l’hommusique » selon l’expression du romancier, etc.) et le non-compréhensible, insérant certains sons puisés dans les films de Robbe-Grillet auxquels il a collaboré.

Fano réalisateur

C’est essentiellement dans les documentaires musicaux que Fano s’illustre en tant que réalisateur, avec deux consacrés à Boulez (1960) et Boulez chef d’orchestre (1976), Olivier Messiaen et les oiseaux (avec Denise Tual, 1972), Musique et informatique (avec Maurice Le Roux, 1975), et surtout dans la série de sept documentaires d’environ une heure pour la télévision, « Introduction à la musique contemporaine » (conçus avec Dominique Jameux, 1980) à une époque où ce genre d’émission était possible sur les chaines publiques (Antenne 2). Chaque documentaire – après un générique de chants d’oiseaux issus des documentaires animaliers – présente la problématique sous forme d’une fiction avec les commentaires de Boulez et la complicité du fidèle Michael Lonsdale qui incarne divers personnages (Jules Verne dissertant sur la modernité, un enquêteur, un psychanalyste, un compositeur ou un metteur en scène) et se prolonge par un concert filmé dans un répertoire en relation avec le sujet. Parmi les thèmes présentés, on notera qu’ils concernent majoritairement les préoccupations de Fano lui-même, compositeur et auteur de « partitions sonores » : « Musique et modernité », « Matériau et instruments », « Musique et machines », « Répétition et différence » ou encore « Musique et récit », renvoient à ses propres expériences dans le domaine du cinéma. Pour exemple, le film consacré au récit où l’on présente notamment le prologue de Lulu dont la musique est superposée au début du Lola Montès d’Ophuls, où le monsieur Loyal renvoie au dompteur de l’opéra, proposant ainsi une démultiplication du sens au travers de la désynchronisation entre ce qu’on voit et ce qu’on entend et de la mise en regard Lola/Lulu réunies dans le même destin tragique.

On notera aussi dans ces documentaires comment le réalisateur conçoit le tournage d’un concert, évitant de cadrer tel instrument soliste – « si vous voyez la flûte, vous l’entendez plus fort, alors qu’elle ne joue pas plus fort » – au profit d’une vision plus musicale de la partition. Là encore, Fano se situe à l’encontre des habitudes qu’il transgresse de façon cohérente, aussi bien l’homme de musique que l’homme de l’image.

© Ircam-Centre Pompidou, 2019


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