Contenus numériques consultables dans leur intégralité au sein de la Médiathèque de l'Ircam

Œuvre de
  • Luciano Berio (compositeur)
Participants
  • Serge Lemouton (réalisateur informatique musicale)

Si l’expérience de la musique électronique revêt une quelconque importance, et je le crois, son sens repose non pas sur la découverte de nouveaux sons, mais sur la possibilité qu’elle donne au compositeur d’intégrer à la pensée musicale un territoire plus vaste du phénomène sonore, dépassant ainsi une conception duelle du matériau musical. De même que le langage ne distingue pas les mots d’une part et les concepts de l’autre, mais consiste plutôt en un système de symboles arbitraires grâce auquel nous donnons forme à une certaine manière d’être au monde, de même la musique n’est pas faite de notes et des relations conventionnelles entre elles, mais s’identifie plutôt à une manière de faire des choix, de façonner et de structurer certains aspects du continuum sonore. La versification, la prosodie et les rimes ne garantissent pas plus la poésie que des notes écrites garantissent la musique. Nous trouvons bien souvent plus de poésie dans la prose que dans la poésie ellemême, et plus de musique dans la parole et le bruit que dans les sons musicaux conventionnels.
C’est dans cette perspective générale que Thema (Omaggio a Joyce) pour bande, composée en 1958, doit être considérée. J’ai essayé d’interpréter musicalement une lecture du texte de Joyce, en développant les intentions polyphoniques caractéristiques du onzième chapitre d’Ulysses intitulé « Les Sirènes» et dédié à la musique), dont la technique narrative a été suggérée à l’auteur par un processus musical polyphonique courant: la fuga per canonem.
Dans cette pièce, je n’utilise nul son produit électroniquement; la seule source sonore est un enregistrement de la voix de Cathy Berberian lisant le début du onzième chapitre d’Ulysses. Le texte n’est pas lu seulement dans sa version originale anglaise, mais aussi dans ses traductions italienne (signée Montale) et française (Joyce, Larbaud).
Dans Thema, j’ai voulu obtenir un nouveau modèle d’unité entre parole et musique, en développant les possibilités d’une métamorphose continue de l’une en l’autre. Par le biais d’une sélection et d’une réorganisation des éléments phonétiques et sémantiques du texte de Joyce, la journée de Mr Bloom à Dublin (il est 16h à l’Ormond Bar) prend furtivement une autre direction, dans laquelle il devient impossible de distinguer les mots des sons, les sons du bruit, la poésie de la musique ; une fois encore, nous prenons conscience de la nature relative de ces distinctions et du caractère expressif de leurs fonctions en évolution.
Luciano Berio

Court-circuit

Cette soirée fait la part belle aux écritures italiennes à travers trois générations d’artistes, de Luciano Berio, disparu il y a vingt ans, à Matteo Gualandi né en 1995. Entrelacs du monde instrumental et électronique, les « tresses incorporées » de Lara Morciano sont devenues une pièce de répertoire mixte pour les flûtistes. Dans sa création, le compositeur chilien José Miguel Fernández réalise quant à lui l’interaction fine entre les gestes du chef d’orchestre, le langage de programmation et les stratégies de synchronisation offerte par la reconnaissance gestuelle. Matteo Gualandi concentre toute la poétique sonore dans un cycle de miniatures de chambre, Fleurs de sang et de rosée. Enfin Berio et son Thema élaboré à partir du chapitre des Sirènes d’Ulysse de Joyce, réussit une synthèse magistrale entre le mot, la voix de Cathy Berberian et l’électroacoustique. Les onomatopées et les sonorités du texte foisonnent : « Imperthnthn thnthnthn » apparenté aux trilles, « Chips piching Chips » au staccato. Significations musicales et textuelles se confondent et se répondent, dans une économie de matériau rare et enthousiasmante.

From the same archive