informations

Type
Séminaire / Conférence
Lieu de représentation
Ircam, Salle Igor-Stravinsky (Paris)
durée
34 min
date
11 avril 2018
note de programme
Michel Imberty

Le processus d’identification ou de reconnaissance d’une œuvre musicale implique généralement qu’on puisse établir une relation entre deux évènements musicaux ou bien entre un événement présent et une « image mentale » que, d’une manière ou d’une autre, on a représentée et conservée en mémoire. Mais identifier signifie aussi sous un prisme différent découvrir le sens de l’œuvre, en d’autres termes saisir les particularités de son inscription dans le temps. Et si M. Imberty pose que « temps musical et sens musical sont phénoménologiquement intimement liés » nous devons nous interroger comment l’œuvre se construit dans le temps, quelles sont ses possibilités, ses métamorphoses.
L’oralité musicale pose la question d’identification d’une manière plus urgente. L’œuvre orale, produit d’un dialogue constant entre prévu et imprévu, est sujette à mutation au cours de temps, l’auditeur est donc chaque fois appelé à reconnaître ce qu’il est en train d’entendre. C’est pendant la performance vivante – lieu symbolique idéal de l’oralité musicale – que l’œuvre orale revendique son identité. Mais la performance vivante est en plus un champ où se tissent les expériences culturelles des intersubjectivités et au sein duquel les auditeurs appréhendent et mémorisent la musique lors et grâce à des moments d’interaction participative et des rythmes partagés. Mes propres recherches sur la musique traditionnelle crétoise de danse, inscrites dans cette problématique, ont confirmé l’importance des gestes intentionnels qui se communiquent dans le temps pour la compréhension et la mémoire musicales.
Comment des mélodies apparemment différentes sont-elles jugées comme similaires dans le contexte musical crétois? En répondant à cette question on répond aussi en partie au problème fondamental de l’oralité qui concerne les limites de la variation. Cherchant à établir des relations de similarité, les auditeurs cherchent en même temps des communautés liées aux gestes et aux vécus culturels intersubjectifs. Ils tentent, dans un sens, à travers des analogies saisies d’une version à l’autre, de confirmer et de reconfirmer la liaison entre représentation sonore et représentation gestuelle. Ce rapport étant dans leur contexte culturel la source principale d’émotion musicale, demande d’être vécu sans cesse. Et c’est cette récurrence, ce rappel d’une émotion déjà sentie qui suscite la sensation du même, du familier, du connu. Sous cet angle, quand deux mélodies sont jugées comme similaires bien qu’elles présentent des diversités agrantes c’est parce qu’elles satisfont aux mêmes besoins expressifs et émotionnels. Dans cette lignée d’idées, l’identification se fonde plutôt à la découverte d’un sens culturel qui ressort des intentions communicatives. Ainsi ce qui s’identifie ne sont pas tant des structures que des intentions.


Michel Imberty : la psychologie de la musique au-delà des sciences cognitives - 2e jour

Si les travaux de Michel Imberty dans le domaine de la psychologie cognitive de la musique sont connus (Entendre la musique, 1979, Les écritures du temps, 1981), ils ne s’inscrivent dans les courants comportementalistes et structuralistes de l’époque que d’une manière particulière et partielle. Dans ces ouvrages comme dans les nombreux articles qui suivront, progressivement se dégagent deux thèmes interdisciplinaires et surtout une position épistémologique plus proche de celle de l’anthropologie ou de l’ethnomusicologie, position qu’on pourrait qualifier de phénoménologique. Ces deux thèmes sont d’une part la temporalité et /ou le temps musical – le plus ancien dans sa réflexion - , la nature et l’origine de la musicalité humaine d’autre part, concept central développé parallèlement dans l’ouvrage de 2005, La musique creuse le temps. Or c’est aussi dans cet ouvrage que la position phénoménologique du chercheur est affirmée, car la réflexion sur le temps musical pose non seulement des problèmes de cognition au sens classique, mais des problèmes de sens et de signification qui étaient déjà la matière des deux premiers ouvrages. Le sens pose la question de l’intentionnalité, et on ne peut travailler sur la musique – comme sur toute œuvre humaine – sans s’interroger à la fois sur les conduites (du compositeur, de l’exécutant-interprète, de l’auditeur), et sur le sens que ces conduites ont pour ceux qui en sont les actants intentionnels. Plus encore, on ne peut le faire sans s’interroger sur le sens que tout cela prend pour le chercheur lui-même, le sens qu’il donne à sa recherche par rapport à ce que les sujets qu’il interroge en perçoivent eux-mêmes. En interrogeant la musique à travers un large champ de recherche, qui va des théories psychanalytiques au bouclage du temps dans un parcours « proto-narratif » tel que la biologie contemporaine en relève les traces dans le fonctionnement cérébral, Michel Imberty a ouvert un espace considérable à l'interprétation des faits musicaux, et ses écrits interrogent aussi bien le musicologue et l'analyste de la musique que le psychologue ou le philosophe qui s'intéresse à la manière dont l'être humain donne sens à la temporalité. Ce colloque, intitulé « Michel Imberty, la psychologie de la musique au delà des sciences cognitives » se propose d’accueillir les contributions de chercheurs qui ont été à un moment ou à un autre de leur parcours, marqués par cette pensée qui fait entendre le fait musical sous un angle radicalement renouvelé.

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