• Saison 2017-2018 - None - None > Michel Imberty : la psychologie de la musique au-delà des sciences cognitives
  • April 11, 2018
  • Ircam, Paris
  • Program note: Michel Imberty
Participants
  • Ana Rita Addessi (conférencier)

Imberty (1979, 1981, 2005) définit le style musical comme une façon d’organiser les structures temporelles musicales par rapport aux structures temporelles de la psychè. Le concept de style musical présenté par Imberty a été mon point de départ pour analyser, étudier et interpréter les styles musicaux de deux compositeurs du siècle dernier, Claude Debussy et Manuel de Falla. J’ai étudié les in uences stylistiques entre ces deux composi- teurs selon une perspective intertextuelle qui substitue le concept d’«in uence» par celui de «circulation» (Barthes, 1975). Dans cette perspective, les connotations phénoménolo- giques et psychologiques du concept imbertyste du style ont interagi avec les concepts de style en tant que «écriture» (Barthes 1959, 1975), «topic» (Agawu, 1991; Mirka, 2014), manifestation de schémas affectifs et de valeurs (Baroni, 1993), et «inscription» d’une identité (Riffaterre, 1994). Sur la base d’une étude des sources (manuscrits, lettres, notes, écrits, correspondance) fait dans les Archives Manuel de Falla à Grenade, j’ai reconstruit et décrit des gures musicales, que j’ai appelées « gures stylistiques», présent dans la musique de Falla qui se réfère aux œuvres musicales de Debussy, et le sens que ces gures stylistiques acquièrent dans le processus de composition de Falla («la ûte debussyste», «l’Espagne», «sonorité brumeuse», etc.), orienté vers la recherche d’une origine et d’une identité. Dans cette étude, le concept d’identité se désintègre dans les miroirs et se recon gure à travers les relations établies avec d’autres textes musicaux. Avec Falla nous sommes loin de la temporalité juxtaposée de Debussy décrits par Imberty et identi és par les auditeurs. L’analyse et l’écoute, en particulière, de homenaje de Falla laissent place à l’intuition d’une temporalité «striée», où les formes sont empilées plus que juxtaposés, dans la recherche constante de reconstituer l’origine d’un discours musical collectif, celui de l’Espagne, et personnel, celui du musicien qui va échapper en Argentine aux atrocités insoutenables de la fureur franquiste. Une temporalité «striée», dans laquelle la citation émerge comme telle, parlant et produisant des signi cations: ce qui est, en n, la fonction de l’intertexte. Nous sommes ici confrontés à un autre problème de la recherche musicolo- gique, c’est-à-dire comment faire interagir la recherche psychologique-expérimentale avec la recherche historique, esthétique et analytique. Dans cette direction, encore vierge et non entièrement abordée, l’œuvre de Imberty représente un guide vers une recherche qui s’articule sur de multiples niveaux méthodologiques et conceptuels.

Michel Imberty : la psychologie de la musique au-delà des sciences cognitives - 2e jour

Si les travaux de Michel Imberty dans le domaine de la psychologie cognitive de la musique sont connus (Entendre la musique, 1979, Les écritures du temps, 1981), ils ne s’inscrivent dans les courants comportementalistes et structuralistes de l’époque que d’une manière particulière et partielle. Dans ces ouvrages comme dans les nombreux articles qui suivront, progressivement se dégagent deux thèmes interdisciplinaires et surtout une position épistémologique plus proche de celle de l’anthropologie ou de l’ethnomusicologie, position qu’on pourrait qualifier de phénoménologique. Ces deux thèmes sont d’une part la temporalité et /ou le temps musical – le plus ancien dans sa réflexion - , la nature et l’origine de la musicalité humaine d’autre part, concept central développé parallèlement dans l’ouvrage de 2005, La musique creuse le temps. Or c’est aussi dans cet ouvrage que la position phénoménologique du chercheur est affirmée, car la réflexion sur le temps musical pose non seulement des problèmes de cognition au sens classique, mais des problèmes de sens et de signification qui étaient déjà la matière des deux premiers ouvrages. Le sens pose la question de l’intentionnalité, et on ne peut travailler sur la musique – comme sur toute œuvre humaine – sans s’interroger à la fois sur les conduites (du compositeur, de l’exécutant-interprète, de l’auditeur), et sur le sens que ces conduites ont pour ceux qui en sont les actants intentionnels. Plus encore, on ne peut le faire sans s’interroger sur le sens que tout cela prend pour le chercheur lui-même, le sens qu’il donne à sa recherche par rapport à ce que les sujets qu’il interroge en perçoivent eux-mêmes.

En interrogeant la musique à travers un large champ de recherche, qui va des théories psychanalytiques au bouclage du temps dans un parcours « proto-narratif » tel que la biologie contemporaine en relève les traces dans le fonctionnement cérébral, Michel Imberty a ouvert un espace considérable à l'interprétation des faits musicaux, et ses écrits interrogent aussi bien le musicologue et l'analyste de la musique que le psychologue ou le philosophe qui s'intéresse à la manière dont l'être humain donne sens à la temporalité. Ce colloque, intitulé « Michel Imberty, la psychologie de la musique au delà des sciences cognitives » se propose d’accueillir les contributions de chercheurs qui ont été à un moment ou à un autre de leur parcours, marqués par cette pensée qui fait entendre le fait musical sous un angle radicalement renouvelé.

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