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Bien que la musique d’avant-garde après la Deuxième guerre mondiale ait plus que jamais valorisé la figure de l’« auteur » (le compositeur) au détriment de ses médiations (commanditaires, interprètes, exégètes, etc.), certaines figures d’interprètes sont souvent citées du fait de leur engagement intensif au service des œuvres nouvelles : par exemple le chef d’orchestre Roger Désormière, le flûtiste Severino Gazzelloni, le violoncelliste Siegfried Palm, les pianistes Alfons et Aloys Kontarsky, pour n’en citer que quelques-uns. Si ces musiciens ont joué un rôle éminent dans la vie musicale, il n’en est pas de même de leur traitement dans la littérature spécialisée, qui a rarement étudié leur contribution à la création autrement qu’au prisme monographique des vies de compositeurs, dans lesquelles ils apparaissent le plus souvent comme de fidèles adjuvants plutôt que des forces dynamiques et autonomes. En parallèle de la composition de ses Sequenze pour instruments seuls (1958- 2003), Luciano Berio a construit dans ses dits et écrits un discours de valorisation de ce qu’il appelait des « solistes ». La notice d’accompagnement de la Sequenza VII pour hautbois (1969) fournit un bon exemple de sa position, largement endossée par la suite par les musicologues indépendamment du cas particulier des Sequenze ou de l’œuvre bérien : « In contrast to the virtuoso, [the modern soloist] can master extensive historical perspectives, since he uses his instrument not only as a means of pleasure, but of insight (of intellectual analysis). So he is in a position to collaborate in the music and contribute to it, instead of ‘serving’ it with false humility. By this I simply mean to say that my piece Sequenza VII was written with this kind of interpreter — Heinz Holliger — in mind. »
Tout en louant la « collaboration » et la « contribution » apportées par le soliste à la musique, la déclaration de Berio comporte sa part d’ambiguïté. D’une part, l’opposition entre « soliste » et « virtuose » vise certes à louer la dimension de recherche inhérente au travail d’Holliger et de ses semblables, mais aussi à critiquer l’autonomie artistique (le bon « plaisir ») exhibée par les virtuoses d’antan au détriment des compositeurs. D’autre part, en mettant l’accent sur l’intelligence historique et analytique du soliste, Berio donne un sens relativement abstrait aux notions de collaboration et de contribution, qui semblent porter sur l’appropriation et la restitution d’une œuvre préexistante et non sur l’implication directe dans le processus créateur. Mais qu’en était-il, en pratique, de la relation entre Berio et les « solistes » auxquels chacune des Sequenze est dédiée ? Nous nous consacrerons à l’étude d’un cas – la Sequenza VII – pour lequel le processus créateur est suffisamment bien documenté dans sa dimension collaborative.
Notre source principale sera l’importante correspondance avec Holliger relative à cette œuvre, au sein de la collection Luciano Berio de la Fondation Paul Sacher (Bâle). Seuls quelques extraits ont été publiés [Shreffler 2001], sans donner lieu à une reconstruction complète des échanges entre les deux musiciens. Cette reconstruction permet de mettre en évidence les occurrences des « contributions » de l’interprète à la genèse de l’œuvre, et de qualifier ses modalités créatrices en regard de celles du compositeur. Dès les premières lettres échangées, il apparaît que c’est en partie la façon dont Holliger abordait son instrument (voire, plus largement, la façon dont il concevait le travail collaboratif) qui a conditionné le processus aboutissant à la partition de Berio. Par exemple, le point de départ du projet de Sequenza VII n’était ni une initiative de Berio, ni le souhait d’un programmateur de concerts, mais une requête de la part de Holliger : une commande, sur ses deniers personnels. Ou encore, Holliger adresse à Berio une feuille de musique listant les « possibilités du hautbois » dont les annotations ultérieures par Berio permettent d’identifier l’emploi direct dans la partition, par ce dernier, des timbres et hauteurs qui retenaient son attention. La genèse de l’œuvre est accompagnée par l’interprète dans de nombreuses étapes, jusqu’à la relecture des épreuves pour la maison d’édition. Il y a donc « créativité distribuée » [Clarke et al. 2013], plutôt que concentration de l’invention dans les mains du seul compositeur, sans pour autant que les rôles de chaque partenaire soient bouleversés : l’interprète agit avant tout comme un expert de son propre instrument, le compositeur avant tout comme le constructeur d’une structure temporelle basée sur quelques concepts et techniques personnels. Mais le caractère profondément collaboratif de ce processus créateur aura eu sûrement d’autres incidences, que je suggèrerai en m’appuyant sur des sources inédites (collections Vinko Globokar et Heinz Holliger de la Fondation Paul Sacher, entretien personnel avec Holliger en 2014) : la focalisation de Berio sur certaines techniques de jeu instrumental au détriment d’autres disponibles dans la liste fournie par Holliger a influencé les focalisations respectives de Globokar et de Holliger sur ces dernières dans leurs propres œuvres solistes pour hautbois composées en 1971 : Atemstudie et Studie über Mehrklänge.
Holliger, tout comme Globokar, a été connu comme interprète avant de l’être comme compositeur ; l’un comme l’autre ont mené une double carrière. Si Globokar s’est rapidement émancipé de la tutelle de Berio qui avait guidé ses premiers pas de compositeur d’avant-garde en 1964, Holliger était encore peu connu comme compositeur au moment de la Sequenza VII. Quand à Berio, il doit lui-même une partie de sa célébrité à une double activité de compositeur et de chef d’orchestre qui s’est épanouie pendant les années 1960. Les échanges entre Holliger et Berio peuvent donc être vus non pas simplement comme la coopération de deux spécialistes aux compétences complémentaires, mais aussi comme un moment de la construction collective d’un réseau de musiciens caractérisés par leur capacité à agir tantôt dans le monde de la composition, tantôt dans celui de l’exécution. Ils sont interprètes- compositeurs, ou compositeurs-interprètes, selon que l’on veut mettre l’accent sur l’une ou l’autre facette pour des raisons de préséance chronologique d’une activité sur l’autre, ou de plus grande postérité dans l’un ou l’autre domaine.
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